Un petit point de fusion — mots qui ensemble résonnent et se propagent comme une onde de choc dans mon cerveau. Un petit endroit où la matière se mettrait à changer d’état, à ramollir jusqu’à fondre, à dégager de la chaleur et de la lumière, des possibles en découleraient dans le réel, on pourrait raccorder des pièces brisées, réparer des objets, et même des outils, de ceux capables de forger creuser sculpter marteler comme on faisait dans l’ancien temps, on pourrait dégager des passages secrets dans les granges entre les machines agricoles et les vieilles charrettes à roues cloutées ou ferrées qui ne servent plus à rien, on pourrait se glisser à travers les chambres inondées et les caves creusées dans la roche, se risquer à travers les taillis même la nuit, inventer des passerelles, emprunter des tunnels, ouvrir des trappes et des portes demeurées jusque-là invisibles
on pourrait prendre des risques après tout, ne redoutant plus l’obscur et tout ce qu’il contient, on aurait fait le plein de courage, on serait devenus capable de vaincre peurs et terreurs qui figent nos corps dans ce qu’ils nous offrent tous les jours, et la matière deviendrait si dense à poursuivre plus bas plus profond, à explorer avec une soif si nouvelle qu’on en serait presque enivrés
on pourrait avancer vite, courir dans la vague lueur des passages, des goulets et des gués qui s’ouvriraient devant nous
d’ailleurs ces passages s’élargiraient et se multiplieraient plus on avancerait comme par magie, on gommerait les hésitations, on aurait du culot et une force exceptionnelle nous viendrait dans les jambes, on deviendrait des espèces d’aventuriers voyageant dans un réseau de cavernes insoupçonnées sous la colline couronnée de bosquets, et je crois comprendre désormais où conduit cette porte vissée dans le muret que j’ai découverte l’autre jour au-delà de la grande prairie, dissimulée au niveau de la barrière végétale qui n’a pas de fin (#8), elle ouvrirait sur les profondeurs d’un drôle de monde qui s’étendrait sous la forêt et s’organiserait de grotte en grotte, de cascade en cascade, car les eaux s’écoulent dans les craquelures et fissures du rocher et elles finissent par s’assembler, quelque part un grand lac avec des créatures rares qu’il nous faudrait apprendre, une nouvelle lueur, un nouveau langage gravé sur les parois suintantes de la sueur et du sang des vivants, on n’oublierait pas la couleur du ciel inscrite en nous depuis longtemps ni l’odeur de la terre rafraîchie par l’averse, mais le monde d’en-bas serait immense et pas aussi silencieux qu’on l’aurait cru, chaque murmure amplifié par le jeu des échos et renvoyé dans les multiples galeries, une sorte de lumière divine légèrement rougeoyante se dégagerait des parois entre lesquelles on circulerait comme fous et assoiffés de découverte, la même lueur initiée par ce petit point de fusion qui nous aurait incités à nous engager dans la fente pour cet étrange voyage qui nous propulse qu’on le veuille ou non au pied de vastes éboulis dans une vallée non répertoriée sur les cartes où coule un fleuve immense tout pareil à une mer
Oh ! mais quel texte, Françoise ! Quelle envolée, j’adore ! Depuis ce petit point de fusion dont je me dis au fur et à mesure de ta lecture, elle a raison, Françoise, il faudrait peu de choses pour oser, pour tout bousculer, pour créer des passerelles… et tu me fais traverser ta porte ! Bravo.
il ne faut pas grand chose pour ouvrir les vannes, se lancer dans quelque chose de grand, ouvrir les bras…
merci pour ton élan si sincère, chère Marlen
Merci Françoise pour cette grande variation sur le passage, et envolée oui, c’est le mot! Un texte qui fait du bien!
hello Valérie, merci pour te lire ici
juste dire encore que tout est possible quand on pousse l’écriture un cran plus loin, qu’on s’entraîne comme pour sauter à la perche ! encore 17 jours…
C’est magnifique Françoise, je n’ai aucune peine à t’imaginer écrire et pourquoi pas vivre ce que tu écris. Belle, courageuse à explorer l’autre monde à l’orée de ce petit point de fusion. Beau dimanche.
coucou Clarence
et je voulais faire resurgir l’image de cette porte que j’ai inventée il y a déjà quelques propositions, comme une vraie porte qui existerait vraiment dans mon domaine d’ici, mais je ne l’ai pas encore tout à fait poussée… il va vraiment falloir que je m’y risque !!
belle soirée à toi surtout, et douce…
… c’est bien cela, oser l’aventure, pousser la porte , aller de grotte en cascade…vers une sorte de lumière divine…
je vois bien ce point de fusion, merci pour ce voyage de tous les possibles
Rétroliens : #anthologie #27 | quelquefois un homme une femme un paysage – le Tiers Livre | écrire, publier, explorer
Comme commentaires précédents, emportée dans cet autre monde, souterrain. Me semble que ce point de fusion pourrait se dérouler dans plein de directions.