La difficulté pour pratiquer l’exercice du jour est de trouver un lieu qu’on aurait sous les yeux, du moins accessible à peu de distance, et qu’on aurait aussi connu il y a longtemps, sans compter qu’il faudrait en avoir un souvenir suffisamment solide pour l’écrire. Alors je ne parviens pas à le trouver, ce lieu. Il m’échappe, il se décompose à peine je l’approche et l’envisage.
Mes lieux mémoriels sont lointains en mémoire et en géographie. Mes lieux proches sont fréquentés depuis quelques mois seulement et j’ignore ce qu’ils étaient il y a des années. Sans doute suis-je mauvaise candidate pour ce jeu. Je n’ai pas d’itinéraires, je ne suis pas une re-visiteuse ni des lieux ni des textes, je vais de l’avant et me moque de l’avant. Je ne sors pas les manuscrits de mes tiroirs, je les abandonne, je les jette, je détruis mes brouillons mes carnets, j’écris du neuf, je visite des bourgs et des hameaux inconnus, des pierres dressées dont je n’ai jamais eu vent, je n’ai pas vraiment de grande ville au cœur. Si je devais absolument écrire quelque chose, ce ne pourrait être qu’autour de mon lieu de naissance que je connais au point de l’avoir dans les veines, le seul que je rejoins comme en pèlerinage tant que ma mère y habite encore et que je peux caresser et décortiquer à loisir — ce ne peut en effet être un lieu neutre. Hélas je crains que le bilan ne serait pas joyeux. Trop de dégradations, l’arrachage aberrant des cyprès magnifiques un jour importés de Californie, la multiplication des lotissements, la destruction lente des sols fragiles et des sentiers du littoral à force de monde. Le seul endroit que je tolèrerais de choisir serait infiniment petit, une niche à un endroit précis de la falaise à hauteur de la Crique sous l’église de Sainte Marie. J’y courais enfant et m’y réfugiais souvent à l’adolescence pour observer l’océan se ruer sur la côte. Là il n’est question que d’érosion du vent et de la vague et son effet sur les parois de ma niche demeure imperceptible sur un demi-siècle. Mêmes courbes du schiste, même odeur, même ciel. Le lieu est intact en dehors de quelques touffes de salicorne plus ou moins étiolées.
… Rien ne change ou tout change… il reste toujours un petit coin, un interstice, une faille, une grotte …une niche! quel beau texte d’aveu d’un néant qui débouche… sur l’océan!!!
nous pouvons nous loger dans le moindre interstice, nos vies ne tiennent qu’à un fil… au souffle de l’océan ?
(merci Eve de ton passage et de ta fidélité)
Une petite niche immuable pour la douceur de l’enfance, la solitude de l’adolescence, s’y retrouver face à l’océan de la vie.
Merci pour ce très beau texte.
sans doute le seul lieu que je revisite avec ce quelque chose d’unique qui me bouleverse, comme un privilège…
le faire paraître ici dans cet endroit était tout à fait imprévu (d’autant qu’il s’agissait plutôt de comparer le même lieu en deux époques, mais j’ai ripé…)
destruction lente des sols et érosion, n’est-ce pas nous ainsi, qui passons d’années en années, en enlevant certaines peaux que nous ne retrouverons pas, et qui, comme toi, ne regardent que vers l’avant… Merci pour ce très beau texte Françoise.
je m’en retourne souvent vers le rocher (une préoccupation liée sans doute à mes études scientifiques)
le rocher est réconfort pour moi, il me permet de regarder devant avec cette île au loin sur l’horizon…
merci Nolwenn pour ton beau retour
Dans la difficulté même « à le trouver, ce lieu. Il m’échappe, il se décompose à peine je l’approche et l’envisage » le texte s’écrit quand même pour arriver au lieu essentiel probablement source inépuisable où tu viens te ressourcer et raviver ton écriture.
« Le lieu est intact » : vraiment ? Merci pour ce dépaysement.
oui le lieu est intact… et inépuisable
il m’a construit et il m’inspire toujours
le rocher a la même texture sous mes doigts et la mer vient attaquer au même niveau la falaise même si parfois une tempête se fait un peu plus forte que les autres, ça a toujours été comme ça…
(j’ai repensé soudain à ce lieu alors que j’allais abandonner l’exercice, ne trouvant que peu d’intérêt dans la description d’un lieu à 10 ans d’écart… c’est drôle n’est ce pas ?)
« ne trouvant que peu d’intérêt dans la description d’un lieu à 10 ans d’écart » (c’est aussi ce que j’ai pensé et puis je me suis mise à écrire (45 ans d’écart) peu satisfaite du résultat il faut dire). Merci d’avoir répondu à mon commentaire Françoise.