Des pavés de pierre ont remplacé le goudron. On ne peut plus se garer comme avant, pile devant, en laissant même le moteur allumé, il y en a qui faisaient ça pour déposer une lettre à la poste. Il y a de droite à gauche, une première boutique, je ne sais plus, ensuite un distributeur automatique Crédit mutuel. J’ai cru comprendre que la boîte ne distribue plus de billets. Ensuite, c’est un fleuriste et un coiffeur, ou un coiffeur et un fleuriste. Ensuite un pressing. Ensuite la boulangerie fermée. Les boulangers avaient vendu séparément la boutique et le fournil. Ceux qui ont racheté la boutique ont aussi une autre boulangerie à Trégastel, leur pain n’est pas bon à ce qu’on dit, ils font de la grosse pâtisserie, et à onze heures, il n’y a plus rien. La boulangerie est à vendre. L’ancienne boulangère, la vraie, travaille maintenant au Carrefour city, elle fait six heures treize heures, elle m’a dit « c’est comme des vacances ». À côté, en perpendiculaire, le centre commercial forme un L, il y a la boucherie Leparc. Même si à Carrefour City le rayon boucherie marche très très bien, apparemment la boucherie Leparc s’en sort. Depuis que c’est Leparc, je n’ai jamais mis les pieds (avant, je devais acheter de la viande pour la famille, je devais entrer, aujourd’hui, pas un pied dans une boucherie ou dans une parfumerie). Après la boucherie, je ne sais plus, c’est à vendre je crois, c’était un maraîcher avec des prix parisiens. Non, je me trompe, avant, il y a un restaurant, Au bon marché ou Les quatre saisons, j’y ai été une fois, c’était bon. Ils ont une très bonne profiterole géante en dessert. Après, l’ancien maraîcher donc. Et puis un commerce vide, c’est l’ancienne pharmacie qui a déménagé. D’aucun parie sur ce que deviendra ce grand local. Une auto-école ? Pourtant le village compte soixante-dix pour cent de séniors. Au bout du L, la Poste, fermée aujourd’hui plusieurs jours par semaine. Le postier est mort jeune. Et puis non, ce n’est pas fini, il y a l’office du tourisme dans lequel je ne suis jamais rentrée. Je ne suis jamais rentrée dans l’office de tourisme de la commune où j’ai grandi. Excentré, le Carrefour City qui vient de s’agrandir, c’est là qu’on vient prendre son pain. Ouvert tous les jours, ça marche très très bien.
On se gare à la va-vite devant les boutiques du centre commercial. On manque à chaque fois d’écraser quelqu’un ou quelque chose. C’est donc en L. Il y a un pressing au bout, tenu par Mme Tourpin, qui tenait avant avec son mari le garage de Trébeurden, avant qu’ils reprennent la station essence d’entrée de la ville avec un service réparations, et la voilà maintenant qui a troqué l’essence pour la lessive et le lavage à sec. Après le pressing, était-il là où après je ne sais plus, le distributeur automatique du Crédit mutuel. J’y viens de temps en temps. Tout le monde y va. Après, il y a le pressing. Voilà, le pressing est là. Je pense qu’avant le distributeur, il n’y a rien. Après le pressing, le café Les chardons, du nom du centre commercial, les Chardons. Parce que c’est la plante qui pousse dans tous les jardins ici. Plante survivaliste. L’été, le café déploie ses tables assez loin, ça créée des problèmes avec la mairie. Après le café, la boulangerie devant laquelle il y a toujours la queue. La boulangère n’accepte pas la carte bleue et n’acceptera jamais. On passe au distributeur avant d’aller à la boulangerie. À côté, la boucherie d’avant Leparc. Je ne sais plus le nom du propriétaire. Ses ongles courts étaient toujours un peu rougis à cause du sang. Il tenait la boutique avec sa femme et Leparc était leur employé. Quand ils sont partis à la retraite, Leparc a racheté. Elle, je ne sais pas si elle est encore en vie, ça m’étonnerait, lui est mort moins d’un an après sa retraite. Après la boucherie, une pizzeria, il paraît que les pizzas sont bonnes. À côté, la grande papeterie-presse de la commune. Après, la pharmacie des Bodin. Il a une grande barbe rousse M. Bodin, il ressemble à un viking. Il est marié à une femme très petite. La Poste est ouverte tous les jours. Dans le coin, l’office de tourisme. Un peu excentré, il y a un Comod, très petit, dans lequel on ne va que quand on a besoin, il n’y a vraiment rien, et c’est assez cher.
le pouvoir des noms propres (enfin presque) : le café des Chardons, mr et mm Leparc, le viking Bodin
ces mots résonnent dans ton texte
Merci Françoise pour la lecture et ton commentaire, pas évidente du tout cette consigne, mais ça pousse à retrouver des choses, et les noms reviennent…
Je me suis bien amusée, j’ai trouvé ça touchant et drôle, cette valse des boutiques et des vies…
🙂 merci Natacha pour ta lecture et ton commentaire