Après avoir éteint la lampe. Couchés. Dans trois lits disposés autour de la pièce et servant de banquettes le jour. Il y a le froid sur le visage et nous sommes en pyjamas recouverts de survêtements. Aux pieds, des chaussettes tricotées main avec les restes de laine. Rêches et trop grandes, on les perd dans la nuit. La lumière des flammes glisse sur les vitres de la petite fenêtre dans le renfoncement du mur. Le bouquet de fleurs séchées sur le rebord intérieur en tomettes a perdu ses couleurs (1) et sa découpe. Feuilles, bourses à graines, tiges, fleurs : un seul bloc de gris, presque noir. La flamme est irrégulière, il y a par instant une flambée illuminant la table, les livres et cahiers posés, les pots de crayons, la cruche à tisane (2). Tout est marron, mat. Tout est silhouette. (3) La lumière s’accroche aux vitres, elle a un reflet d’eau. De dehors on doit voir cette lumière inégale, qui tremblote, s’impose soudain, se calme, éclaire sûrement la cour puis rien (4). Les rôdeurs pourraient mettre leur front sur la vitre soudain on aurait un des quatre petits carreaux obscurcit par une ombre. (5) Dans les deux autres lits des formes immobiles. Seule à regarder, seule en éveil (6), deux yeux grands ouverts captant quelque chose. Les flammes n’éclairent rien entre les poutres du plafond, des lambeaux d’ombre seulement près de la cheminée, plus loin rien. Une nuit sans fond (7) dès qu’on s’éloigne de la cheminée. C’est-à-dire au-dessus des lits. Au sol les tomettes luisent, ayant gardé la chaleur du rouge brique même si perdu le rouge brique. La trace luisante du rouille s’accorde à la flamme. Terre cuite et feu. Les boules des chenets ont gardé leur douceur de cuivre, on les sait dorées on les voit vieil or. On dépose son regard au mur contre le lit,(8) plâtré, inégal, accrochant du clair parfois, loin de son blanc de journée. On ferme les yeux avant le noir complet. Par sécurité.(9)
- A la fin de l’été déjà, les chardons du bouquet étaient gris.
- Une poterie c’est certain, plutôt une cruche à eau, on aimait le grès, les assiettes et même les verres étaient en grès. On aimait le rustique, et le grès représentait le rustique.
- Tout est silhouette : l’enfant saisit sans la nommer la présence d’une face insaisissable des choses révélée par la nuit. La matière n’est pas ce qu’elle a laissé croire. Les objets ont davantage de densité. Il a alors l’intuition que cette face insaisissable s’applique par élargissement au monde et aux personnes.
- Ce n’était pas une cour, C’était un devant de maison de terre battue et d’herbe râpée, accessible depuis la route, sans barrière.
- Alors on aurait peur. Mais on a déjà peur de ce carreau si mince laissant la nuit entrer dans la chambre salle à manger cuisine de la maison basse à hauteur d’homme.
- Découvrir seule qu’on ressent différemment, qu’on pense différemment, que la fratrie n’est pas une entité, qu’on s’en détache. Découvrir seule qu’on est seul.
- Un noir infranchissable, celui de l’espace, l’espace commence au-dessus du lit.
- On se tourne donc contre le mur pour s’endormir, comme chaque soir, on prend sa position de naufrage au moment où l’on va sombrer.
- Le noir complet permettant, comme chacun sait, l’apparition des esprits malfaisants venant s’emparer des êtres faibles, comme le pensaient les parents. ( Malheureusement pour les enfants, insomniaques par sécurité)
Une touche de couleur, une précision sur un matériau, un développement, une reprise d’un détail… Ces notes agissent comme la mise au point de la focale d’un objectif. J’aime bien. Merci.
Merci Jean-Luc. La proposition est très porteuse!
… toutes ces petites lumières pour éclairer le noir et la peur qui l’entoure. très réussi. donne envie ensuite de relire le texte pour l’éclairer un peu plus encore. Merci
Merci Eve
(doux et lumière) qui accroit sans alourdir et presque une proposition 22. Merci
Merci Nathalie!
Un carreau qui laisse la nuit entrer…
La face insaisissable des choses révélée par la nuit
Superbe !
Tout est silhouette. La lumière s’accroche aux vitres, elle a un reflet d’eau.
C’est très beau cette façon de dire l’indicible.
Merci !
Merci à toi Françoise.