#anthologie2024 #simonclaudeportraitaupresent / test miroir

Elle est âgée. Après on ne compte pas l’âge, elle est à l’âge où on ne compte plus l’âge parce qu’elle serait seule pour souffler ses bougies. Elle est âgée et essouflée et épaissie par la vie et elle porte ses courses dans des vieux sacs plastiques, courses trop lourdes pour elle, avec ses mocassins plats et ses mollets gonflés et elle monte les quelques marches du square et elle manque de perdre l’équilibre et des gamins ricanent et j’ai fait ce rêve des dizaines de fois et il m’a inquiété à chaque fois alors il me faut le glisser dans mes écrits et elle est un peu moins âgée mais elle n’est pas jeune pour autant et elle prend son thé face à la fenêtre face au square en bas où tout s’agite mais rien ne vit vraiment à part peut-être le vieux platane elle croise son reflet dans la fenêtre et elle est toujours surprise de ces quelques rides sur sa peau qui se relâche elle ressemble à sa mère mais elle ressemble aussi à une autre femme elle sait qu’elle ressemble à une autre femme et elle ne sait pas qui est cette femme je me suis souvent demandé si c’était moi cette femme dans mes rêves cette vieille femme qui tombe si c’était moi plus tard ou si c’était une femme de ma lignée et que je porte toute sa détresse elle a l’âge d’une femme mûre elle rentre chez elle sous la pluie il fait nuit son mari l’attend sans l’attendre il l’attend pour lui reprocher de ne pas être là et non pas pour s’inquiéter elle croise le regard d’hommes sur le chemin et elle est surprise des sourires et elle se surprend à vouloir sourire elle aussi son maquillage a coulé ses cheveux sont collés ses vêtements sont collés et elle a ses chaussures à la main comme quand elle avait vingt ans et qu’elle rentrait de nuits trop courtes sourit-il à sa jeunesse évaporée comme un parfum rance et dans le miroir parfois je me vois et parfois je vois une autre femme une femme qui n’existe pas encore ou qui n’existe pas ici surtout avec mes cheveux quand je les tire en arrière elle a trente ans et l’on frappe à la porte et elle n’attend personne puisqu’elle ne connaît personne ici donc elle ne sait pas si elle doit ouvrir et il n’y a pas de miroir dans cet appartement mais l’homme derrière la porte qui s’excuse s’être trompé d’étage a un instant de gêne qui lui fait comprendre qu’elle est belle et j’ai cette obsession de ces femmes que je regarde dans le miroir et qui me regarde et sur lesquelles je dois écrire elles me disent écris nous mais je ne connais pas leur récit elle a vingt ans et elle pique une goutte de sang dans sa robe de mariée pour éloigner le mauvais oeil et derrière son voile on ne voit pas son visage et ses joues qu’elle mord mord mais je crois qu’il ne s’agit pas de les entendre mais de les voir elle a huit ans et elle aime jouer à la marelle.

A propos de Léa Yasmine Djenadi

Psychologue. Métisse. J'aime aussi lire dans des langues que je ne parle pas. En création d'une newsletter... (comme tout le monde, non ?)

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