Feuilletant le petit livre que Monique Nathan te consacre, je me suis arrêtée net sur une photo de toi que je n’ai jamais vue ailleurs. Et pourtant il en existe de nombreuses autres, toi avec la tête penchée, toi avec Leonard, toi jouant au cricket avec Vanessa, toi et tes amis. Mais celle-ci, je ne l’avais jamais rencontrée. Tu es dans un jardin, un muret coupe la photo en deux dans son horizontalité et de hautes hampes de fleurs s’élèvent tout près de toi. Perché sur des herbes, une tache blanche, un chapeau de paille renvoie la lumière et réveille les tons de gris qui dominent partout ailleurs. Sur la gauche on devine un buste, un peu caché par les tiges de cette plante, dont je ne retrouve pas le nom, qui offre des sortes de plumeaux à ses extrémités; si la photo était en couleurs je les aurais dits fuchsias. Le buste, enfin ce que l’on en voit est légèrement penché vers le sol, un visage assez impassible qui ne me donne nulle clés pour savoir de qui il s’agit. Mais ce qui importe, bien sûr c’est ta silhouette longiligne, dont on ne distingue que la partie supérieure, avec les bras repliés et les mains semblant s’effleurer qui se rejoignent.
Tu verticalises la droite de la photographie: c’est quand même toi qu’il est important de contempler. Un port de tête droit, fait ressortir un collier de perles dans l’échancrure du chemisier, les cheveux bien tirés vers l’arrière. Ton regard ! C’est lui qui importe bien sûr. Il nous invite à un ailleurs, ton ailleurs où tu te réfugies. Le monde que tu nous décrit dans tes romans, celui où l’on bascule presque malgré nous, et dont on a du mal à revenir. Là, Virginia, posant pour cette photo — dont je ne saurais rien d’autre car l’origine, le lieu, le photographe ne sont pas notés comme si c’était une photographie venue de nulle part —, tu sembles dans tes pensées, déjà dans l’écriture des lignes qui se bousculent dans ta tête, absente comme tu savais l’être lorsqu’un projet d’écriture t’habitait, te prenait tout entière, t’aspirait dans ses filets. Sur la page en vis-à-vis, il est écrit en titre je est un autre, avec un extrait de Entre les actes donnerait une manière de décoder le cliché sur la page de gauche: C’est d’abord la belle Mrs Manresa, qui arrive inopinément à l’heure du déjeuner. Avec ses bagues, ses ongles vernis, son adorable petit chapeau de paille, elle est à l’image, dans toute sa personne « sursexuée» de la parfaite féminité. Un peu plus loin: Voici Dodge, son pareil, son complice, celui qui lit sur les lèvres, qui cherche les visages cachés.
Quel est donc ce visage en noir et blanc, et à qui est-il offert?
Virginia, combien d’autres es-tu? Ton regard n’est pas tourné vers nous, mais vers cet autre toi-même qui donne vie à tous les autres. Tu es toi, mais tu es aussi tes personnages: c’est Clarissa, Isa, Rachel, Sara, tous ses personnages réunis dans cette silhouette, que l’on ressent d’une grande sensibilité. C’est un moment d’être que tu nous donnes à voir, et c’est à cette silhouette-là que je voudrais partager ma reconnaissance, mes remerciements, d’avoir été.
à cette silhouette-là,
ici mais aussi ailleurs,
proche et éloignée,
volubile et silencieuse,
sans défense et volontaire
disparue mais si actuelle,
Et si l’on pense qu’évoquer les disparus c’est les faire exister encore un peu, je veux bien te parler, encore.
« Virginia, combien d’autres es-tu? Ton regard n’est pas tourné vers nous, mais vers cet autre toi-même qui donne vie à tous les autres. Tu es toi, mais tu es aussi tes personnages »:
Bel hommage, belle idée. Merci Solange.