elle aurait du mal à choisir la pièce qu’elle s’apprêterait à explorer par le regard, de quelle nature elle serait, combien de portes, combien de fauteuils, combien d’objets posés sur la table avec les restes du petit déjeuner, où serait placée la fenêtre (important la fenêtre pour la lumière, présence ou absence) et quelle serait la couleur des murs (à supposer qu’ils soient tous de la même couleur), il y aurait des poteries placées sur chaque marche de l’escalier étroit qui saurait la conduire à cette chambre secrète dont elle aurait entendu parler
elle aurait du mal à grimper dans le dédale des pots, des bouquets séchés et des petites bibliothèques encombrées avec des papiers et des cartes postales qui dépassent des livres, du mal à en franchir le seuil, à faire un pas vers l’intérieur, il y aurait cette odeur particulière qui évoque les ateliers d’artiste, ce liquide nécessaire pour diluer la matière, la malaxer jusqu’à la travailler une fois posée sur le papier ou la toile
elle aurait du mal à identifier le personnage qui ne soupçonne pas une seule seconde qu’on le cherche et qu’on souhaiterait savoir ce qu’il fait, ce qu’il pense, ce qui se passe dans son cerveau, ses petites inquiétudes pour la préparation du repas du soir ou l’arrivée d’un ami en visite, pourtant le personnage ne pense pas au repas ni à l’ami qui viendra, il est en pleine action dans un total silence et il faut que le regard balaie tous les recoins de la pièce l’un après l’autre pour le découvrir enfin dans un angle où est installé une sorte de bureau avec une foule d’objets qui ressemblent à des pinceaux et des petites boîtes de couleurs et un pot rempli d’outils à gratter, tout à fait bien caché derrière le chevalet
elle aurait besoin de rentrer dans le tableau pour la voir elle à son poste de travail, absorbée par la science des passages d’un ton à l’autre — il s’agit donc d’une femme, elle aurait fini par le comprendre en progressant dans l’écriture –, une femme qui œuvre d’une palette à l’autre, qui ne supporte pas qu’on dérange ses affaires, les visites sont programmées parce qu’on ne peut pas la déranger pour un rien elle passerait sur elle, observerait son visage habité comme révélé par la lumière forte du nord, celle qui provient de la fenêtre derrière elle, le paysage un bref instant visible dans la fenêtre, oliveraies, ciel bleu violacé, ligne de petites montagnes au loin, et elle repartirait comme elle serait venue par la porte sans même dire un seul mot