#anthologie #18 | plus d’objectif

Photomaton

Je ne sais pas d’où vient ce nom mais il ne m’évoque rien de très joyeux. Il est bien indiqué qu’il est interdit de sourire sur les papiers administratifs. Pas de fantaisie surtout. Il faut tirer les rideaux, tourner un siège qui relève davantage d’un siège médical que d’un moment agréable. Le flash aveuglant fait qu’on ferme les yeux. Puis, on retire le rideau d’un geste magistral et la bobinette cherra. Le photomaton, c’est la photo carcérale, de face seulement.

Selfie

C’est l’opposé de la photo maton, IL FAUT sourire tout le temps. Tout d’abord, trouver l’icône qui permet de faire un retournement de situation. Ensuite, avoir le bras assez long – même si tout le monde me dit que non- pour prendre de la distance, puis, disposer l’appareil ou plutôt le téléphone un peu en hauteur. Il faut également avoir de préférence un arrière-plan qui montre bien où vous êtes de façon à ce que tout le monde mesure bien la chance que vous avez, voire vous envie. Le selfie, c’est le monde du bonheur.

Photo de ce que vous allez manger

Autre incontournable de notre monde moderne : prendre l’éphémère, ce qui va d’un instant à l’autre disparaître de la surface de la terre pour être englouti à jamais : le plat du restaurant où vous êtes attablé et qu’un serveur ou une serveuse vient de vous amener. Vous salivez à l’avance, regardez la présentation, mesurez à vue d’œil la quantité, la qualité des ingrédients. Vous vous dîtes qu’il serait bien de partager ce moment de pur bonheur avec ceux qui n’en profiteront pas. Alors vous sortez votre appareil ou plutôt votre téléphone, en fait non, vous ne le sortez pas car il est à droite de votre assiette, vous le prenez donc, et immortalisez la charlotte d‘asperges et mousseline de truite. Voilà, il en restera une photographie car Messer Gaster se charge du reste. La photo des plats que l’on va manger c’est pour rappeler la différence entre le temps de préparation, toujours long, et le temps qu’il faut pour le manger, toujours court.

Photo de fleurs de montagne

Elle pourrait rappeler la photo du plat que l’on va manger par plusieurs aspects : saisir l’éphémère, s’en délecter, prendre le temps d’en faire le tour Toutefois elle en diffère. En effet, à moins de s’y connaître, la fleur de montagne que l’on photographie ne se mange pas. En outre, pour la saisir, il vous faut fournir un effort physique que le restaurant n’offre pas. La photo de fleur de montagne est faite pour rappeler le suspens du temps, un autre rapport à l’heure que vous n’avez pas, vous remplacez la montre par le dénivelé. Les heures se comptent en mètres à monter et à descendre. C’est la fleur qui vous appelle et non vous qui la voyez. Alors, vous vous mettez à sa hauteur, accroupi ou à plat ventre, vous lui dites bonjour-il faut toujours dire bonjour aux fleurs-, vous sélectionnez le gros plan et vous appuyez sur le bouton bleu de votre téléphone. La photo de fleur de montagne, c’est le pouvoir de la couleur.