Sur l’escalator du métro, je grimpe derrière un crâne chauve, parfaitement lisse ; me dit quelque chose. Un homme politique – on les voit beaucoup en ce moment -, un acteur de cinéma, de théâtre, un écrivain, mais de ceux là, on connaît rarement la bobine ; ils passent rarement à la télé, certains acceptent une photo d’identité en quatrième de couv, d’autres, moins timides, un bandeau et leur nom en gros caractères, je ne dirai rien des visages pleine page couleur… marketingue.
J’observe les vêtements de mon prédécesseur, costume bonne façon, prince de Galles discret, tons fondus, probable cravate club, grande élégance. Carrure plutôt mince, je me dis que ce doit être Leiris, à la station Trocadéro, près du musée de l’homme, forte probabilité. J’estime son âge, une bonne cinquantaine, nous sommes en 1970, vraisemblance, et ce crâne blanc, à peine ridé, ce pourrait être un africain albinos, un fantôme d’Afrique… Un moment, je pense grimper en vitesse, le dépasser, pour avoir, de ce fourbis, enfin le cœur net… allez, je me lance, je le frôle, me retourne… Ce n’est pas Leiris, c’est tout sauf Leiris… pourtant, voir ce visage me conforte dans la certitude que je le connais, c’est qui, c’était quand, c’était où ? L’(in)connu vient d’allumer une cigarette, ce geste, c’est bien de lui, je l’ai vu, j’en suis sûr, je peux même dire qu’il allumera la suivante avec le mégot de celle-ci. Attention, pas d’erreur, plus de biffure possible, mon prof de philo faisait pareil, ne pas me laisser abuser par l’image, comment m’y prendre, comment l’aborder ? « bonjour, je vous ai reconnu à votre façon d’allumer votre cigarette… vous êtes ???» je n’ai pas la réponse. ; maintenant, c’est sa voix, si discrète, charmeuse, douce, un frêle bruit dans ma mémoire qui fibrille, sa capacité à vous enjôler par un ton parfait, vous parlant comme murmurant à soi-même des histoires, un soliloque perpétuel un débit de questions réponses, parfois comminatoires, un véritable inquisitoire. Seule certitude, ce n’est pas Leiris, mais c’est un acteur ou alors un écrivain, dont j’ai probablement lu les œuvres, figurent dans ma bibliothèque ; il ne me reste plus qu’à faire, dans ma tête, l’inventaire des auteurs chauves dont j’aime les livres. Il a suffi que je me détourne un instant, mon bonhomme avait disparu, envolé, comme par l’effet du vent, d’un rêve dont il ne reste que ce mot : Quelqu’un.