#anthologie#17 | vies minuscules

Je savais qu’il était né dans ce pays et qu’il habitait la ville, du moins qu’il y avait habité à une époque, des faits bien loin de ma pensée en ce jour mouvementé de juillet où je parcourais les rues en compagnie d’un couple d’amis venus me rendre visite. Depuis le remarquable édifice du lycée Jourdan, on avait enfilé la rue de la République, tourné un peu au hasard sur la droite pour se diriger vers la ville ancienne. Les façades crépies d’ocre du petit théâtre à l’italienne promettaient un intérieur charmant. En voie de rénovation m’avait-on dit, des fonds ayant été récemment attribués pour ce projet. En dehors du Grand Café aux boiseries turquoise déjà photographié au cours de l’hiver et des hautes façades sombres des bâtiments municipaux et préfectoraux, je ne savais pas grand-chose du lieu, n’étant venue depuis ma campagne qu’une paire de fois pour raisons administratives. Remontant à contre-courant la rue du Prat on avait fini par rejoindre la Grand Rue piétonne, agréablement en pente. Des portes condamnées nombreuses et des vitrines couvertes d’affiches et de graffiti témoignaient du peu d’activité de la cité. Ruelles quasi désertes. Ou alors n’était-ce pas la bonne heure. Tout de même quelques tables en terrasse sous de beaux arbres avec gens attablés pour le café. Tout ça jusqu’à tomber à l’angle de la rue Jules Sandeau sur une vitrine de librairie.

Jolie façade d’un gris doux récemment refaite, albums jeunesse en présentation, porte ouverte aux passants. Le nom de la librairie était inscrit en belles lettres majuscules couleur rouille.

Ça m’a drôlement secouée, ça m’a forcée à rétablir le lien de façon forte et immédiate entre l’écrivain et la ville. La librairie portait le nom d’un de ses livres les plus célèbres paru en 1984, son tout premier livre, un nom et un adjectif, le tout accordé au pluriel. Ah ce livre qui lui était venu, huit vies, huit portraits inspirés par ses ancêtres creusois, petites gens enfermés dans une vie âpre et sans issue. Et, repensant à Antoine Peluchet, à Claudette ou à l’abbé Bandy, je voyais très clairement le dessin de son crâne, ses joues creuses, réinventais cette façon qu’il avait de choisir et d’articuler les mots accompagnés par le jeu constant des mains.

On avait poursuivi jusqu’à l’église Saint-Pierre et Saint-Paul insérée dans le vieux quartier comme une pièce dans un puzzle. J’ai lu qu’elle avait été reconstruite à l’emplacement d’une chapelle édifiée au XIIIe siècle, ne conservant d’elle que la première travée de la nef et le porche sud. Et c’est devant ce porche que je l’ai croisé. Il était en compagnie d’une femme et il la tenait par la taille. Ils avançaient heureux entre les maisons ornées de petits jardins à la végétation exubérante. Son regard a croisé le mien, il a haussé les sourcils comme si nous nous connaissions, presque ébauché un signe de la main. Mais venez donc prendre un café avec nous, là-bas sous les arbres, c’est un petit coin charmant ! Bien sûr que je les aurais suivis si j’avais été seule, nous aurions parlé du hameau de la naissance, de la compassion, de la résurrection. Nous aurions aussi parlé de Madeleine, la petite morte, que nous avions finalement en commun tous les deux. Scellées dans la pierre rose du porche, vibraient cent petites figures érodées par les vents et les pluies limousines. Je les avais regardées avec intensité. Elles semblaient si vivantes. Elles me parlaient de Madeleine.

Photographie Françoise Renaud, juillet 2024

j'ai pensé renoncer... je ne trouvais pas du tout mon chemin ni le lien avec le travail que j'ai conduit jusque là depuis le début du cycle autour d'un de mes chantiers... 
et tant pis si ça ne répond guère à la proposition, je n'ai rien d'autre sous la main
je me dis que j'ai tout de même fini par écrire ce que j'avais en tête, la fiction n'allant pas tout à fait jusqu'à la familiarité...

A propos de Françoise Renaud

Parcours entre géologie et littérature, entre Bretagne et Languedoc. Certains mots lui font dresser les oreilles : peau, rébellion, atlantique (parce qu’il faut bien choisir). Romans récits nouvelles poésie publiés depuis 1997. Vit en sud Cévennes. Et voilà. Son site, ses publications, photographies, journal : francoiserenaud.com.

11 commentaires à propos de “#anthologie#17 | vies minuscules”

  1. Et je dirai que c’est réussi. On se laisse emporter et on aime cheminer jusqu’à LA rencontre qui se dessine de plus en plus précise de plus en plus tangible. Merci Françoise pour cette rencontre avec l’auteur de (nos) vies minuscules.

    • oui le titre bien sûr! je ne pouvais pas l’éviter…
      alors donner de l’attente sans savoir si j’allais la contenter, on aurait aimé peut être une conversation, mais elle n’a pas eu lieu
      salut Elise (je manque de temps pour lire tout le monde mais je viens régulièrement du côté de chez toi)

  2. Je ne connais pas Guéret et bien trop peu Pierre Michon mais je suis avec vous à prendre un café sous les arbres. Tout est si vivant dans les détails. Merci Françoise pour cette évocation subtile, de ton écriture si ronde et si chaude.

    • viens nous rejoindre sous les arbres, tu es notre invité…
      et merci pour ton retour si motivant
      merci pour cet accompagnement que nous nous prodiguons depuis longtemps maintenant… ça compte tellement

  3. Par la ville, les rues, la pierre, une rencontre. Un effleurement qui ne se berce pas de fiction ? tout est vrai et peut-être faux. Sauf Madeleine à te lire. Merci. (C’est tout à fait réussi rassure toi. )

  4. Tu as bien fait de ne pas renoncer… tout est tellement vivant, tangible (oui c’est le mot) et j’ai été emportée par une sorte de légèreté comme un souffle d’air qui n’empêche pas l’émotion quand il est question de Madeleine

    • oui je me suis souvenue de ce personnage… Madeleine, la petite morte, sa sœur…
      alors elle a murmuré à mon oreille et m’a permis de clore le texte sur le visage de ma petite morte (à moi)
      merci Muriel

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