« Avec plaisir » dit-il en posant la tasse de café sur la table. Oui, il est question de plaisir, c’est vrai mais tout le plaisir est pour moi je crois car c’est moi qui me fais servir sur cette terrasse à l’ombre du platane alors que toi tu trottes de la place au café qui se trouve de l’autre côté de la rue en plain cagnard. Oui, c’est vrai, je crois que j’y prends du plaisir à être là, à ne rien faire si ce n’est regarder les gens passer et l’été s’installer confortablement. Plaisir d’étaler mes jambes sous la table, d’étirer mes doigts de pied et de humer les aiguilles de l’horloge de la tour au-dessus de ma tête.
Avec plaisir, tu as certainement pris ce job d’été pour te payer un peu tes études. Ce n’est pas cher payé mais il y a les pourboires ont dit les patrons. Tu as fait quelques calculs adéquats, purement chimériques mais le plaisir vient aussi de ce qu’on peut imaginer.
Avec plaisir un enfant court après un pigeon pour mieux le voir s’envoler. Avec plaisir le volatile s’était posé sur la place où il sait qu’il pourra toujours trouver des miettes que les clients ont laissé tomber ou lui lanceront.
Avec plaisir contre un ticket de carte bleue donnée à ce couple de touristes étrangers. Je ne sais pas si c’est le moment approprié. Au moment de payer, c’est quand même rarement de gaieté de cœur. C’est un échange de service. Et puis le serveur qui annonce cela, je ne crois pas qu’il ait éprouvé véritablement du plaisir à chercher dans le gouffre de sa mémoire les bribes de leçon d’anglais qu’il avait retenues pour essayer d’expliquer à ces Anglais ce qui était sur la carte. Il aurait sans doute pris davantage de plaisir à les servir si la carte avait aussi été imprimée en anglais. Mais bon, ils lui laissent un pourboire, c’est l’avantage des étrangers, ça devrait donc lui faire plaisir.
Avec plaisir sortir son carnet d’écriture du sac. Observer les mains des gens qui se trouvent autour et les faire parler. Noter leurs déplacements, leurs interactions, leur fébrilité ou leur nonchalance. Décrire leurs caractéristiques et dialoguer avec elles le temps d’une page de carnet.
La tentation de répondre : tellement !
et d’embrayer sur un texte de plus, c’est croustillant tous nos travers, nos tics de langage.