À la faveur d’une bousculade à la sortie du métro l’homme (je sais que c’est l’homme qui était derrière moi et à qui j’ai demandé pardon quand j’ai perdu mon équilibre lors du trajet entre Sainte Sophie et Eminonu) m’a volé mon portefeuille. « A la faveur ». Je n’arrive pas à utiliser une autre expression. A la faveur. J’ai des tics de langage. E n’ a fait aucune remarque sur »à la faveur de ». Il me considère traumatisée sans doute. Je sais qu’il ne supporte pas que je dise par exemple « de base » ou « à la base ». Il trouve que c’est vulgaire. Il trouve que je joue parfois les vulgaires rien que pour l’agacer. Bien évidemment je ne suis pas vulgaire parce que lui n’aurait jamais choisi d’épouser une femme vulgaire. Je lui réponds ce qui l’agace encore plus parce qu’il n’a pas d’humour : « si tu le dis ». Après je porte l’estocade, le coup fatal : « je dis ça je dis rien ». E déteste. Je n’ai plus qu’à m’asseoir et écouter une longue tirade sur la décadence de la société où plus personne ne sait parler et où plus rien n’a de sens. Tout le monde emploie des expressions à tort et à travers « pas de souci », « du coup », « au jour d’aujourd’hui » et si les écrivains s’amusent à prendre à la légère les mots, la langue alors on est foutu.
J’ai dans la tête le visage de l’homme qui m’a volé mon portefeuille. Si la police me demandait un portrait-robot, je pourrais donner des indications précises au dessinateur. Mais à quoi bon. Je suis de retour maintenant. J’ai été imprudente.
À la faveur d’une proximité physique avec une antillaise qui n’a jamais voyagé et pris très rarement le métro, un homme petit le visage mangé par une barbe, une chemise marron à rayures les yeux mouillés a volé un portefeuille rouge dans un sac à dos qu’il était facile d’ouvrir à la faveur de la bousculade pour sortir du métro.
A la faveur de la mort de mon père E m’a épousé un samedi du mois d’août, la réception était au jardin botanique et j’étais en blanc et joyeuse.
A la faveur du silence qui s’est installé dans notre couple nous sommes partis à Istanbul pour nous retrouver.
A la faveur de mon ignorance des précautions élémentaires à prendre quand on voyage j’ai perdu mon portefeuille et je suis restée seule à Istanbul.
A la faveur d’un séjour forcé au Grand Almira Hôtel j’ai le désir d’un roman.
A la faveur des propositions, les fils se tissent les fils se tissent et la matière s’accumule !