#anthologie #14 | J’hallucine

J’hallucine : ce matin, un matin d’été très doux, j’ouvre mon application SNCF Connect, pour vérifier mon billet Aix-en-Provence Paris, je vais prendre un premier car puis un deuxième tout à l’heure, pour m’amener à Aix TGV. Le billet, ou l’application, ou la sncf, c’est-à-dire qui? ou quoi ? me fait passer par Marseille pour faire Aix Paris! Et donc changer de TGV à Marseille ! Pourtant j’avais fait les efforts nécessaires pour m’adapter à l’application et, j’hallucine, je m’étais laissée aller à faire confiance au bon sens d’une application !

J’hallucine : l’unijambiste qui vient faire la manche au marché du lundi, est assis comme d’habitude sur le trottoir devant la boulangerie, ses deux béquilles posées à ses côtés. Il a bien du mal tous les lundis à venir à béquilles jusqu’à cet endroit. C’est un gars de l’Europe de l’Est, je ne sais plus comment je l’ai su. Un grand touriste avec lunettes noires et bermuda repassé, tenant en laisse son petit chien blanc amidonné, bien brossé, le laisse ou le fait délibérément crotter et pisser à un mètre de l’unijambiste, sur le trottoir. J’hallucine! Et je me déçois. Car j’ai envie d’engueuler le touriste et je ne le fais pas.

Elle hallucine. Je distribue les copies, après un contrôle sur les reprises du Dies Irae dans la musique classique et la musique pop. Soudain j’entends un cri, vers le fond de la classe: Madame ! J’hallucine ! Je soupire intérieurement il va sans doute falloir me justifier, ou plutôt justifier la note: « La note ce n’est pas moi, c’est un barème». Une grande échevelée, avec longs ongles collés, roses à paillettes, agite ses bras dénudés et crie encore: Madame ! J’al-lu-cine! Madame ! Comment j’ai fait ? J’ai 15 ! Sourire intérieur: hé oui ma belle, tu es beaucoup plus fine qu’on te l’a fait croire.

J’hallucine ! Ma mère nous invite au restaurant pour son anniversaire, et me spécifie dans le SMS : « le lendemain, je resterai dans ma chambre, nous serons dix, vous m’organiserez une petite fête ». J’hallucine deux fois : je suis la seule parmi les dix à avoir reçu le SMS. Halluciner, ça me fait prendre la vie joyeuseusement.

J’hallucine avec cette phrase chaque fois qu’elle me revient:« quand tu étais petite, au bout d’un an, ta nounou a voulu t’emmener en vacances pour te présenter à ses parents. Je lui ai dit oui car, au moins, il y avait quelqu’un qui t’aimait. C’est important d’être nounouté la première année. »

A propos de Valérie Mondamert

J'anime des ateliers d'écriture dans les Alpes de Haute-Provence depuis dix huit ans, (DU d'animateur en atelier d'écriture en 2006, à Marseille), je suis prof de musique et je mêle avec joie les deux fonctions. J'ai publié des récits.

2 commentaires à propos de “#anthologie #14 | J’hallucine”

  1. … la chute fait .. halluciner et comme presque relativiser tout le reste… merci pour ce texte fort.