Sur la place du Bourguet, on pourrait dire petit bourg, mais depuis le Moyen Age un grand carrefour de foire agricole et gigantesque marché, les silhouettes s’entrecroisent, derrière elles leur sillage vierge est immédiatement habité par les bandes de pigeons tournant autour des bancs, cou et pattes en polyrythmie, les vieux se reposant qui avec un chien qui avec rien, regardant ceux qui rentrent et sortent de la mairie, du local de la police municipale, du cinéma, de la poste, de l’office du tourisme, du tabac, de la pharmacie, certains assis sous le platane de la boîte à livres, toujours les mêmes, émigrés deuxième génération, d’autres aux terrasses des bars, PMU et café du Bourguet, chacun leur clientèle selon les heures, touristique, populaire, intellectuelle, jeune, vieille, travailleurs de retour des chantiers, motards dé-casqués, locaux lisant les journaux palabrant avec des bières et cafés, retenant leurs enfants et leurs chiens de courir sur la place vers d’autres enfants et d’autres chiens en liberté. A la sortie du cinéma les individus clignant au soleil encore étourdis de ce qu’ils ont vu, lèvent les yeux vers le clocher de la cathédrale pour lire l’heure sur le cadran de pierre, se remettant dans le cours des choses en se resituant dans le cours du temps, un coup d’œil vers l’avancée de sa restauration, les échafaudages des compagnons du Devoir et du tour de France, le toit en lauzes, les murs débarrassés des plantes parasites et rejointoyés, disant quelques mots à leurs compagnons de ciné, hésitant à casser la magie de la salle noire avec leur première parole, risquant une opinion dont l’enjeu, sauf ego sur-gonflé, sera surtout de ne pas se désaccorder de l’Autre, parfois tombant littéralement dans le vide-grenier, le concours de boules, le marché du jeudi, la patinoire en hiver, les grosses ampoules dorées d’un Noël définitivement restées, le soir c’est toujours Noël sur la place du Bourguet, le marché aux bouquinistes, le marchand de poisson du vendredi, le vendeur de nems depuis trente ans fidèle, l’hiver il part en vacances au Vietnam, exceptionnellement des cercles pour les enseignants assassinés, les résultats d’élection autour d’un député, les appels au don du sang, les fanfares, les rassemblements aux drapeaux CGT, les tables du secours catholique vendant des vêtements tricotés pour bébés, pas de polyphonie corse, les alignements de vieilles voitures chromées, les stands de ravitaillement pour le trail de Haute Provence et les courses de cyclistes casqués dans leur habits moulés, pas de course de tracteurs ni de course de lévriers, ça c’est au village d’à côté. Au-dessus des humains la nuée de corneilles noires, installée dans les platanes depuis des générations, cohabitant gentiment avec tourterelles et pigeons, leur vol en bande avec slaloms, volte-faces, dérapages aériens et jeux d’ascension dans le mistral, strié de jacasseries et de fracasseries, indifférentes aux sillonneurs de la place, des femmes avec leur cadi, des jeunes en short et baskets marquées, des bellâtres (rares) se pavanant pour eux-mêmes, des déprimés regard au sol et traînant la savate, des quarantenaires pressés, des vieilles dames fripées promenant par deux leurs restes endimanchés, des employés municipaux en gilet jaune ramassant des mégots de leur longue pince à deux branches puis poussant leur poubelle à roulettes, ou ramassant une déjection, canine cela va de soi, et dans ce cas c’est toujours le jeune qui ramasse, comme quoi dans tous les boulots il y a une forme de bizutage ou d’initiation, telle celle des profs dans les réseaux d’éducation prioritaire qui pleurent à la récré, l’employé le plus âgé roulant sa clope et regardant des pré-ados par trois dans leur portable, des papas poussant des poussettes entourés de nuées de mômes dévorant des goûters chocolatés, faisant leur job de papa et de voisin, à 16h30, heure de la sortie des écoles, une publique une privée.
4 commentaires à propos de “#anthologie #13 | Place du Bourguet”
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merci de votre contribution – vous êtes une des très très rares, au 10ème jour du cycle, à ne jamais cocher les catégories indispensables, pouvons-nous vous demander d’y veiller à l’avenir ? pour l’équipe du site, E.L.
Oh mais j’ai vécu longtemps juste à côté ! Merci pour ce souvenir de Forcalquier.
Où bien est-ce une autre place du Bourguet?
Mais oui bien sûr c’est Forcalquier ! Merci de votre lecture!