A l’angle de Laustistzer platz il y a un café dont les tables sont vides pour l’instant. Juste assise à l’angle, dos appuyé sur le mur, une femme boit son café dans un petit verre, comme ceux que l’on avait enfant à la cantine, en contemplant la place. L’homme qui l’accompagne est assis de biais, lui aussi face à la place. Ils ne se parlent pas, l’homme fume, la femme boit son café. Ils ne se parlent pas. On ne peut pas savoir qu’ils se sont fâchés, un peu plus tôt et que c’est pour cela qu’ils ne se parlent pas. On pourrait penser qu’ils sont comme ces couples qu’ils ne veulent pas être quand ils voient au restaurant, ceux qui n’ont plus rien à se dire. Ils ne se parlent pas mais ils sourient tous les deux au serveur du café qui a des yeux d’un bleu délavé qu’on n’avait jamais vu et un sourire qui vous donne forcément envie de lui sourire aussi. Le serveur fait des choses de serveur que l’on ne peut pas voir quand il est à l’intérieur mais l’on devine qu’il doit ranger et nettoyer des verres, actionner la machine à café où d’autres choses encore que l’on ignore. On le voit parfois apparaitre, car il sort parfois fumer une cigarette son regard bleu dans le vide et faire des choses attendrissantes comme attraper une plume dans sa main, la garder un peu pour lui puis la relâcher d’un coup au vent.
Des hommes arrivent à intervalle régulier en vélo et s’arrêtent devant la porte qui jouxte le café. Ils descendent de leur vélo, sortent de leur sac une clé, ouvrent la porte et rentrent avec leur vélo qu’ils font glisser au moyen d’une rampe qui enjambe les marches. La porte se referme.
Devant le couple assis qui ne se parle pas, en l’absence du serveur qui est rentré à l’intérieur, il y a la rue piétonne et le trottoir d’où viennent toute sortes de gens comme un homme avec sa fille en poussette, l’homme est vêtu de noir et la petite fille a une frange très courte, on ne peut pas le savoir mais ils viennent de la boutique de coiffeur d’à côté, et l’instant d’avant, la petite fille avait le séchoir qui faisait voler ses petits cheveux blonds. Ils s’assoient à côté du couple, l’homme regarde son portable et sa fille lui parle parfois, il lui répond toujours en souriant. Une femme passe en vélo suivie d’un adolescent, lui aussi à vélo, la femme porte des lunettes de soleil et ses cheveux sont bruns, bouclés. Elle a des tatouages sur les bras. On ne peut pas deviner si l’adolescent est fier des tatouages de sa mère ou si il s’en fou. Deux femmes aux cheveux gris s’assoient un peu plus loin, elles se parlent beaucoup. Elles pourraient être parentes ou collègues de travail, l’une est beaucoup plus jeune que l’autre. Un homme hagard qui porte un imperméable orange délavé s’arrête devant la terrasse et décline une sorte de litanie, dans cette lague que l’on ne parle pas, une des deux femmes qui viennent de s’assoir au café lui donne une pièce.
En face, sur la rue piétonne, une petite fille traverse lentement. Elle a un cartable sur le dos et un petit fichu rose sur la tête. Elle marche très lentement, seule, donnant une impression mélancolique que renvoient parfois certains enfants sans le savoir car bien sûr ils ne savent pas ce sentiment pensent les adultes. Les adultes se trompent parfois. Les adultes interprètent aussi. Parfois la petite fille s’arrête regarder longuement une feuille sur une branche d’arbre à sa hauteur, puis repart, de son pas très petit et un brin mélancolique, allez, je le dis.
Derrière elle, deux garçons effectuent le même trajet. Ils ont aussi un cartable. L’un d’eux a les cheveux longs. Ils ont un ballon, qu’ils se passent, lentement d’un pied à un autre, comme s’ils n’y croyaient pas vraiment. Ils rient, font mine de tomber, sourient, se parlent et éclatent de rire. Le ballon passe, silencieux. On peut penser soudain que la petite fille de tout à l’heure est peut-être avec eux, pour une raison obscure qui tient à comment les garçons se construisent, ils la laissent aller seule devant.
De la terrasse du café à l’angle de Laustistzer platz, on entend le bruit des enfants qui jouent au loin dans un petit jardin, mais on ne les voit pas.