La pluie l’a maintenue chez lui toute la journée, à peine une éclaircie le temps de trottiner jusqu’au bureau de vote, de refuser la proposition de dépouiller les résultats, de revenir à la maison Scrutateur il a joué ce rôle souvent depuis son installation définitive au Conquet une manière de s’intégrer pleinement à la vie de la commune ce n’est pas suffisant bien sûr il a également rejoint le club de lecture et le cercle des aînés Il s’est inscrit aux voyages organisés en autobus toujours alerte il a visité Bayeux, Bourges et même Majorque une année faste où la vente de tee-shirt de la kermesse annuelle dépassa toutes les prévisions Aujourd’hui il n’a pas voulu dépouiller les bulletins et connaître les résultats en anticipation du reste du village Il se contente d’allumer sa télévision quelques minutes avant vingt heure Il n’a pas voulu dépouiller car il observe depuis plusieurs années la lente déviation de ses concitoyens Ces voisins, presque ses amis lesquels parmi eux basculent vers l’extrême Impossibles à détecter à travers ses enveloppes bleues Tout au plus un sourire fugace intercepté au moment du comptage total des voix par candidats Difficile à dire Pourtant ici les vieux se souviennent toujours du départ vers l’Angleterre pour sauver ce qui pouvait l’être : l’espoir que le cauchemar s’arrêterait Oui ici ils ont refusé de plier tout comme ceux de Sein ils sont partis se battre Ils sont presque tous morts à présent, il ne reste que lui, le centenaire
Sur l’écran de la télévision le compte à rebours a commencé Soudain il ne veut plus connaître le résultat dehors le soleil est encore haut il sort dans le jardin Le vent a chassé les nuages, le temps se met au beau Il décide de voir de plus près l’astre se coucher dans la mer rien ne lui apparaît plus important que d’accompagner le retour du crépuscule Ainsi que l’instant juste précédent lorsque les derniers rayons passant derrière le globe terrestre transpercent l’eau de surface de l’océan et apparaissent verts Jules Verne l’a accompagné depuis son enfance il serait juste qu’il soit présent maintenant Au delà du jardin, il suit le route de la corniche personne dans la rue, tous sont restés chez eux Il a le temps de marcher à petit pas prudents jusqu’au parking puis de descendre la pente douce jusqu’à la plage Il se déchausse pour toucher le sable avec ses pieds Il continue à se dévêtir Le soleil est à présent un rond rouge au dessus de l’eau Avec un plaisir de gamin il s’avance dans la mer, nu Il n’a pas froid C’est décidé il va accompagner la chute du ballon rouge dans l’Atlantique Le froid l’engourdit il l’accueille avec joie il nage Déjà il ne voit plus le rivage, du ras de l’eau il ne pourra pas observer le rayon vert, qu’importe l’astre le guide il nage vers le large Pour reprendre son souffle il fait la planche Au dessus de lui le rose, l’orange ont enflammé l’horizon Bouchon à peine balloté par les vagues calmes il admire les couleurs de son dernier crépuscule et s’endort
Très jolie chute, toute en douceur et en quiétude. Un personnage attachant
Et toute une vie avant le sommeil. Très touchée par cette poésie en filigrane, et le rayon vert tant espéré. Merci beaucoup.
Merci Elise, merci Marie pour votre lecture et vos commentaires.