#anthologie #12 #13 | #SF-3713-HKQ

Ce lieu devenu familier à force de l’avoir en toile de fond dans les séries américaines D’abord en noir et blanc puis multicolore Les Z enchaînés de cette rue plus-que-pentue, dévalés à toute allure pendant les courses poursuites lorsque le méchant en veut au gentil, ou inversement Avec des variantes, à bicyclette, à moto, en traction avant, bientôt en monocycle, en tout ce qui ressemble à une roue ou à un groupement de roues coordonnées capables de suivre cet enchaînement de huit virages serrés dignes des meilleurs circuits de rallye Surprise, d’autres visiteurs ont eu la même idée Arrivés avant nous, ils forment une file ordonnée, patientant en deçà des rails du tramway de Hyde Street, la route perpendiculaire à Lombard Street 

En version cinématographique le véhicule poursuivi fonce tout droit le long du parc du réservoir et se lance sans hésitation dans la pente à seize degré -dixit wikipedia- qu’il franchit en quelques secondes à grand renfort de crissements de pneus, de nuage de poussière  et de mains agrippées au volant, parfois un gros plan sur une goutte de transpiration ou des sourcils froncés de concentration permet de comprendre la complexité de la manoeuvre Comment font-ils pour les tournages ? Ont-ils créé une Lombard Street 2 chez Universal dédiée à cette scène classique pour tout film se déroulant à San Francisco Une copie identique, vide de touristes encombrants, disponible sur réservation, permettant des prises de vue à météo garantie  C’est tout à fait possible et permettrait de surcroît de se libérer des caprices du brouillard et de la pluie souvent présente, comme aujourd’hui par exemple Quelques rares versions de la course poursuite font tressauter la voiture au franchissement des rails du tramway, elle s’envole alors le temps d’un battement de cil puis amorce sa descente à travers les parterres fleuris bordant les virages, d’autres à l’évidence ne rencontrent pas cet obstacle Ces dernières sont peut-être enregistrées en terrain factice, dans ce cas probablement loin d’ici, directement dans la capitale mondiale du cinéma à l’autre bout de l’état de Californie La présence du passage des rails du tramway m’interpelle, car je n’ai pas en mémoire de scène ou le tramway passe et bloque le poursuivant voire le poursuivi C’est dommage de ne pas utiliser ce ressort potentiellement comique permettant au spectateur une pause bienvenue dans la tension montante de la course poursuite Peut-être existe-t-elle ? Elle accréditerait l’hypothèse d’un tournage en décors réels Dans ce cas les équipes de tournage bloquent-elles l’accès au toboggan coudé lorsqu’elles en ont besoin Ce n’est certainement pas gênant, cette rue est inutile dans la vie quotidienne pour les habitants du quartier Elle ne sert qu’à attirer les touristes à pied pour prendre des photos, en voiture pour prendre des vidéos à montrer à la famille au retour de voyage Peut-être que le sort de Lombard Street 2, si elle existe, après son remplacement par Lombard Street 3 – la version avec les rails du tramway- sera d’être ouverte aux visites elle aussi Une sorte de Lascaux made in USA une façon d’éparpiller la foule en vacances

Ces interrogations nous occupent et meublent le temps d’attente de notre passage Notre tour arrive, je roule prudemment sur les rails, le tramway est loin Le SUV devant-nous slalome à la vitesse folle de cinq kilomètre à l’heure Chacun veut profiter du trajet mythique sans pour autant rayer ses jantes Ces virages sont pavés de briques rouges luisantes sous la bruine fine De part et d’autre un large trottoir avec des escaliers depuis lesquels des touristes nous photographient pendant que nous progressons à la vitesse d’une limace frisant l’apoplexie Les pneus crissent à chaque virage Très vite nous sommes en bas, en silence Dans l’habitacle personne n’ose s’avouer … déçu ? ce mot serait trop fort, disons désappointés par la brièveté du passage au regard de l’attente 

Dans Bullit, il ne pleut pas, raison pour laquelle Steve McQueen fonce dans sa mustang Et toutes ces fleurs au bord des escaliers, elles manquaient de naturel Oui c’est ça, à une autre saison par exemple en hiver, même sous un ciel bleu éclatant ces virages seraient tristes et réalistes comme dans les films Refaire un tour avec un esprit plus ouvert nous prendraient trop de temps Nous pourrions nous garer, remonter les marches en vulgaires piétons, prendre le temps d’admirer d’en haut la vue sur la baie Non ? Tant pis

Atterrir à Hong Kong par le dernier avion de la journée, toutes les guérites de la douane sont ouvertes le passage est rapide Traverser l’aéroport immense, voir son reflet dans la surface impeccable des pavés de granit poncés en miroir Trouver facilement le métro tout aussi rutilant de propreté Direction Island Line Ressortir à la station Causeway Bay Traverser le centre commercial englobant la station Avoir encore l’énergie d’observer que toutes les surfaces donnant sur les rues sont des espaces de commerces Entre les centres commerciaux se trouvent les supermarchés, entre les supermarchés se trouvent les magasins, entre les magasins se trouvent les échoppes, entre les échoppes des revendeurs ambulants Finir par trouver l’escalier vers son hôtel, obtenir sa chambre, dormir 

Suivre la rue du petit Champlain à Québec et faire un voyage dans le temps

A propos de Noëlle Baillon-Bachoc

Lectrice compulsive, attirée depuis le plus jeune âge par la littérature de l’imaginaire avec une prédilection pour le fantastique. Je me consacre à présent totalement à l’écriture. J’anime des ateliers d’écriture et des stages dédiées à la littérature de l’imaginaire.

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