Il a sept ans il intègre les louveteaux. Un dimanche de septembre, le groupe de Jean canote dans la rade de Brest. La brume recouvre le paysage pendant la traversée du retour. Pour ne perdre personne, les esquifs individuels sont attachés les uns aux autres suivant, tels des canetons, la grosse barque à voile carrée des moniteurs. Le froid s’insinue dans chaque espace où la peau de Jean est à nue. Il ne porte qu’un short, un maillot de corps et un gilet de sauvetage rêche de sel, trop grand. Son corps malingre ne résiste pas à l’épreuve. Il garde le lit plusieurs semaines dans sa chambre qui ne donne sur rien. Il aime cette sensation : être seul, isolé dans son abri avec autour la maison vide. Il découvre à cette occasion le plaisir de la lecture.
Il a dix sept ans, avant même de recevoir son ordre de départ pour le STO, il part pour l’Angleterre.
Il a onze mois, il est présenté au capitaine Kermarec. Le père juge son enfant chétif, le soupçonne timoré. Il prend en main son éducation, l’installe dans le cellier attenant à la cuisine et rebaptisé « chambre » car partager celle de ses sœurs est inapproprié.
Les doigts se posent sur les touches du clavier, l’apprentissage de la frappe produit les résultats attendus, le texte s’écrit sur le clavier à la vitesse de la pensée.
Le jour de ses soixante cinq ans, il reste muet devant la petite fête de départ préparée ses collègues et élèves. Ne sachant trop à quoi s’occuper après, il s’installe dans la maison de la pointe du Conquet qu’il utilisait l’été.
Il a quinze ans, une jeune fille, emménage dans son immeuble avec toute sa famille, et son piano. Menue, elle a de grands yeux noirs, de longues mains blanches et des doigts fins qui s’éveillent sur le clavier. Sa musique coule comme la vie. Il ignorait que la musique pouvait être autre chose que militaire. Sarah. Dans ses rêves, Jean lui parle, il lui demande d’être son professeur, elle accepte.
Sur la photographie, un groupe d’enfant en tenue militaire avec des capelines tombant sous leurs genoux. Impossible de situer cette prise de vue dans le temps. Elle est postérieure à la publication de Thalassa.
Il a onze ans, il en parait neuf, il rejoint les scouts marins. Il embarque avec sa patrouille pour l’Islande sur un voilier prêté par la marine. Enfants partant jouer à s’aguerrir loin des hommes auxquels ils se doivent de ressembler. Sur cette île minérale, grise dans sa poussière, noire dans son sable. La troupe enfantine part pour une longue marche autonome dans une région de lac, harnachée comme à la parade, confiée à la garde du plus grand. Un enfant ivre de l’obéissance que le reste de la troupe lui doit. Ils marchent. Après quelques heures ils n’ont plus de repères. Ils marchent. Au bout d’un délai qui parait suffisant ils mangent toutes leurs maigres provisions. Ils marchent. Leur chef de troupe ne parvient jamais à faire un point correct. Deux jours s’étirèrent en heures, en minutes, en seconde de survie puis ils sont retrouvés, à temps. Grâce au soleil qui ne se couche jamais, la marche les sauve tous. Le gel des soirées polaires estivales fait perdre une phalange au petit doigt gauche de Jean. Pour le reste de sa vie, son auriculaire lui rappelle pourquoi plus jamais il n’obéira plus à l’autorité imbécile.
Il a un jour, à travers la fenêtre de sa chambre, par delà le pont de l’Arteloire, sa mère aperçoit la Lorient, une frégate militaire, prenant la mer sous le commandement de son époux.
Une photographie en noir et blanc, retrouvée dans le recueil Thalassa, les poèmes écrits par cet aïeul, il reste de lui les recueils publiés à compte d’auteur et les médailles obtenues pour des faits de guerre à l’autre bout du monde.
Il a douze ans, il arrête de grandir, au désespoir de son père, il n’atteint pas la taille minimum pour espérer rejoindre la navale. Il reste donc à Brest dans un lycée classique et découvre que l’amour de la lecture peut devenir un métier.