Cette proposition d’écriture arrive à point pour essayer à nouveau d’écrire autour de Léonie, la sœur de ma grand-mère maternelle, ma grande tante, mais jamais je ne l’ai appelée ainsi, elle est morte bien avant ma naissance. J’ouvre le tiroir de mon bureau attrape la petite boîte dans laquelle sont précieusement rangées la photo de Léonie et une longue lettre écrite de sa main.
Léonie a 15 ans, le 28 Août 1915 elle écrit à une amie, depuis l’Hôtel Beau-Séjour de Cannes. Elle écrit, tu me pardonneras d’avoir écrit si fin mais c’était pour t’en dire plus. J’en ai un livre à t’écrire, mais voilà déjà 4 pages. Elle est à Cannes avec Madame Carnot, la femme du Directeur des filatures en laine peignée et tissage Garnier-Carnot, de Pontfaverger – le village natal de Léonie. Dans sa lettre, Léonie évoque ses occupations à Cannes, les travaux à la lingerie, repasser ou raccommoder le linge, cela passe le temps, dit-elle. Elle donne des nouvelles de ceux qui sont restés au pays, Pontfaverger, un petit village de la Marne.
Après la découverte de cette lettre, je surfe sur internet, essaie de comprendre. Pourquoi Léonie est-elle à Cannes en 1919 ? Je découvre que la Côte d’Azur est terre d’accueil des exilés pendant la première guerre mondiale. Par petites touches l’histoire de Léonie, de madame Carnot et des milliers de réfugiés se dessine : ils ont fui les zones de combats du Nord et de l’Est de la France. Je découvre sans surprise que la première vague de réfugiés à partir en 1914 est composée de familles bourgeoises ayant les moyens de financer leur départ et leur installation sur la Côte d’Azur.
Léonie écrit dans sa lettre qu’avant son départ, ils ne mangent plus à leur faim, les habitants du village n’ont plus qu’un quart de pain par personne et par jour ; de toutes les vaches qui restent dans le pays, une dizaine est réquisitionnée par les allemands.
Je poursuis frénétiquement mes recherches sur internet, je découvre sur la « Liste de Rapatriés civils français », la présence à Genève le 20 avril 1915 de Léonie Denizet et Camille Carnot. Passées par Genève pour rejoindre Anemasse et subir des interrogatoires longs et précis de la part de militaires français qui cherchent à récolter des informations précises sur les positions allemandes et leur organisation au sein des territoires occupés.
Léonie a 18 ans, dans le courant de l’année 1919. Elle regagne son village natal. Traverse des villages et des paysages détruits par les combats et les pillages de l’armée allemande. Sa famille est toujours en vie, en mauvaise santé suite aux quatre années de privation. La ferme familiale a été détruite pendant les combats, la famille vit dans un baraquement.
Léonie a 20 ans sur la photo. Une photo entourée d’une marie-louise ovale jaunie et tachetée de marron. Joues saillantes, l’air décidé. Vêtue d’une robe sombre avec une collerette blanche, un ruban de velours noir autour du col, de longs gants blancs sans doigts. A vingt ans elle a déjà tellement vécu, on le lit dans son regard.
Léonie a vingt-deux ans, brusquement quittée par l’homme qu’elle doit épouser. Elle se jette dans la rivière qui coule derrière la ferme. Son corps est retrouvé quelques jours plus tard.
Un entrefilet dans un journal trouvé sur internet livre une histoire toute différente : Très souffrante des privations endurées durant les quatre années d’occupation ennemies, Mlle Léonie Denizet, 22 ans, de Pont-Faverger (Marne) s’est noyée dans un accès de neurasthénie. L’Ouest-Eclair – 8 avril 1923
Une base terriblement romanesque (aucun échange amoureux, épistolaire n’a été retrouvé ?)
Merci pour la lecture Perle ! Non malheureusement je n’ai que la photo et la longue lettre qui donne surtout des nouvelles des personnes resté.e.s sur place… rien sur Cannes seulement les « travaux » à la lingerie… un jour peut-être l’écriture aidera à aller plus loin..