Une mariée en robe blanche, voile jusqu’au sol et bouquet de fleurs blanches au bras. Elle a 30 ans, un âge avancé pour se marier en ces années-là. A côté d’elle, un homme plus tout jeune, grand, corpulent, sérieux. Il ne sourit pas. Elle non plus. Ils s’entendront bien. Elle a 20 ans, elle vient de passer le concours d’institutrice. Elle a toujours voulu enseigner. Elle a fait les études qu’il fallait. Elle a réussi. En tant qu’étudiante. En tant que femme aussi. Il fallait encore prouver tant de choses quand on était une femme. Elle est l’aînée de cinq enfants, le dernier vient de naître. Elle a 16 ans. Sa mère est fatiguée, des contraintes familiales, de l’accouchement, du travail dans l’épicerie familiale. C’est elle qui s’occupe du cadet, du petit frère. Elle s’occupe de lui, et le soutient, l’élève, le dirige plus tard vers les études supérieures. Elle a 50 ans, son mari vient de mourir d’une pneumonie contractée au retour de la guerre. Ils n’ont pas eu d’enfants. Elle a son petit frère qui vient de se marier, elle le couve comme avant. Mais sa femme cherche l’indépendance de la famille, rejette les sollicitudes de la belle-sœur qui se prend pour la belle-mère. Elle perd ainsi le contact avec son frère, sa femme et leurs enfants. Il lui reste son travail d’institutrice, puis de directrice d’école. Elle est considérée dans le quartier. Elle a des responsabilités. Elle a 4 ans, c’est le tournant du siècle, elle n’en sait rien, ne se rappelle rien du déménagement des parents. Ils ont quitté la Tchécoslovaquie, la Bohème, pour descendre dans le Sud. Elle parlait tchèque, elle parlera allemand. Elle fera toute sa vie dans la même ville. Elle a 72 ans, grande lectrice, grande fumeuse. Des piles de livres, des tas de livres à même le sol. Son seul trésor. Une pile de journaux datant de longtemps. Des cigarettes aussi, des tas de paquets de cigarettes. Des mégots dans des coupelles, mal rangés, mal éteints. Solitude. Négligence. Fatigue. Ou malchance. Elle meurt dans l’incendie de son appartement
2 commentaires à propos de “#anthologie #10 | Une vie de femme”
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« Il ne sourit pas. Elle non plus. Ils s’entendront bien. » J’ai souri à cette phrase qui sonne comme une évidence ! Une fin tragique, un personnage de roman ?
Un personnage bien présent depuis assez longtemps qui évolue en fonction des propositions d’écriture. Peut-être un jour…?
Merci pour ton attention et ton questionnement, je vois que toi, tu es restée dans le rythme de l’atelier sans fléchir!!