#anthologie #08 | Porte derrière chambre

#Anthologie#08 : Porte derrière chambre

L’enfant est assis au milieu de la chambre sur une natte de paille, en tailleur, devant le feu. Quatre murs, trois portes, une grande fenêtre sur cour. C’est sa première chambre seul, c’est son premier soir, le premier feu, allumé sans aide et sans adulte, dans la petite cheminée. On lui a donné cette chambre suite à un remaniement de famille. La configuration d’une famille est mobile, même si le temps d’un mouvement de pion est souvent long, et ce fut long, pour lui.
C’est son premier face à soi.
Dans son dos la porte donnant sur une petite pièce en longueur qu’il n’a pas encore ouverte. Il avait vu cette pièce, du temps où cette chambre était celle de ses parents, puis de sa mère, on y stockait des cageots de pommes. Ça sentait fort la Golden, énorme, sucrée, tachée de rousseurs, il y faisait froid. Il ne sait si cette porte peut être ouverte, s’il a l’autorisation de l’ouvrir. Avant, non. Mais un pion a bougé, celui du père. Et le droit de faire ou de ne pas faire a changé par ricochet. Mais on ne sait de quelle façon.
La porte n’a pas de clé. Une poignée blanche, ovale, en porcelaine. Des moulures en haut et en bas, peintes en blanc. La petite pièce est parquetée, le parquet grince sous son pas. Mais il est au fond de sa chambre et personne n’a accès à cette pièce sauf à passer par sa chambre. Tout-à-l’heure sur la natte il pensait rester longtemps mais immédiatement il s’est mis debout à cause de cette porte dans son dos. La petite pièce est tapissée de placards blanc, avec poignées en chrome. Il tire sur une poignée. Ça résiste un peu, c’est fermé par un aimant. Il insiste, ça claque en s’ouvrant. Il retourne précipitamment dans la chambre. Le feu crépite à peine, c’est calme. Il revient. Dans l’ombre du placard il voit des dizaines de robes longues, il ouvre en grand, des robes crème, blanche, violette, parme, des capes dorées, des capes blanches brodées d’or, des capes vertes, toutes recouvertes d’une écharpe de la même couleur avec de longues franges en or. Et puis un soleil, des fleurs, des oiseaux, un cœur rouge sang, des rayons, du gris du blanc du doré des rayures des carrés des volutes des croix. Des croix brodées en argent, or, métal, bronze. Il glisse ses mains entre les robes pour voir, tous ces déguisements potentiels, tous ces jeux secrets qui s’annoncent, avec ses sœurs. Des habits de curé ! Derrière les cageots de pommes.

A propos de Valérie Mondamert

J'anime des ateliers d'écriture dans les Alpes de Haute-Provence depuis dix huit ans, (DU d'animateur en atelier d'écriture en 2006, à Marseille), je suis prof de musique et je mêle avec joie les deux fonctions. J'ai publié des récits.

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