#anthologie #07 | après avoir éteint la lampe

#Anthologie#07 : Après avoir éteint la lampe

Après avoir éteint la lampe. Couchés. Dans trois lits disposés autour de la pièce et servant de banquettes le jour. Il y a le froid sur le visage et nous sommes en pyjamas recouverts de survêtements. Aux pieds, des chaussettes tricotées main avec les restes de laine. Rêches et trop grandes, on les perd dans la nuit. La lumière des flammes glisse sur les vitres de la petite fenêtre dans le renfoncement du mur. Le bouquet de fleurs séchées sur le rebord intérieur en tomettes a perdu ses couleurs et sa découpe. Feuilles, bourses à graines, tiges, fleurs : un seul bloc de gris, presque noir. La flamme est irrégulière, il y a par instant une flambée illuminant la table, les livres et cahiers posés, les pots de crayons, la cruche à tisane. Tout est marron, mat. Tout est silhouette. La lumière s’accroche aux vitres, elle a un reflet d’eau. De dehors on doit voir cette lumière inégale, qui tremblote, s’impose soudain, se calme, éclaire sûrement la cour puis rien. Les rôdeurs pourraient mettre leur front sur la vitre on aurait soudain un des quatre petits carreaux obscurcit par une ombre. Dans les deux autres lits des formes immobiles. Seule à regarder, seule en éveil, deux yeux grands ouverts captant quelque chose.

Les flammes n’éclairent rien entre les poutres du plafond, des lambeaux d’ombre seulement près du feu, plus loin rien. Une nuit sans fond dès qu’on s’éloigne de la cheminée. C’est-à-dire au-dessus des lits. Au sol les tomettes luisent, ayant gardé la chaleur du rouge brique même si perdu le rouge. Les petits octogones s’accordent aux jeux de la flamme. Terre cuite et feu. Les boules des chenets ont gardé leur rondeur, on les sait dorées on les voit vieil or. On dépose son regard au mur contre le lit, plâtré, inégal, accrochant du clair parfois, loin de son blanc de journée. On ferme les yeux avant le noir complet. Par sécurité.