#anthologie #06 | instants de solitude

#anthologie#06    INSTANTS DE SOLITUDE

1/ Veuve.

Brutalement seule.

Des retrouvailles familiales prévues

Un déjeuner en déplacement sur le lieu de villégiature choisi par leur grand fils

Un repas préparé par les soins de son mari : un vaste couscous.

Il adore faire la cuisine

Il ressent une douleur brutale qui lui tombe dessus comme le tonnerre un soir d’été

Violent, fatal, imparable

Rupture d’anévrysme.

Brutalement seule, complètement seule dans un nuage cotonneux qui brouille son réel

Sidérée, hébétée, désemparée, amputée à vif

La digue du chagrin qui tient des minutes, des heures. Seule, dans ce dramatique malheur qui explose ses souvenirs d’eux.

Encore pas la force de hurler de tristesse et de peur aussi.

L’angoisse, la peur de la solitude jamais envisagée, inconcevable déjà étouffante. Complètements seule

Même si le déni retient toutes les pensées rationnelles.

Seule comme chaque grand enfant présent, des adultes, chacun muré seul, dans un chagrin et l’incompréhension.

2/ Un devoir, une gratitude à son égard une marque de respect seuls, elle le sait, empêchent qu’on l’oublie complètement dans son quartier mais les visites sont si rares.

Elle n’aime pas demander, ni déranger.

Elle a tellement aidé, dans la discrétion et le tact, accompagné, conseillé.

Des générations d’enfants du quartier l’on appréciée comme institutrice « à l’ancienne ».

Seule chez elle, s’installer et s’accouder à sa table du salon.

Trois gros albums étalés, ouverts entassent toute sa carrière.

Elle déroule sa vie en tournant les photos de classe. Toutes ces années de dévouement aux apprentissages des cours élémentaires.

Seule sa haute tête fière dépasse bien au-dessus de celles des écoliers.

Elle égrène les prénoms c’est son occupation c’est son remède pour ne pas rester complètement seule

Plus tard, elle déjeunera seule sans réel appétit.

3/  Sa seule occupation du matin fut de dépoussiérer, ranger, classer se trouver seule à s’agiter dans chaque espace de sa demeure

Elle accepte difficilement de rester des jours et des jours sans seulement un appel , une voix , une visite. Elle a peur  dans le silence profond de sa maison

Par moment elle entend le bruit des ruelles de Dakar les cris joyeux des enfants qui jouent rient et se disputent complètement seule et absorbée dans ses souvenirs : elle revoit, elle entend tout cela

A d’autres moment c’est la radio qu’elle garde allumée en bruit de fond

Pour couvrir le bruit du frigo dont le moteur ronfle parfois, pour couvrir le silence

Faire un café pour soit toute seule l’occupe, elle ralentit les gestes pendant qu’elle énumére par jeu les grandes villes capitales des pays d’Europe.

 A haute voix, seule sa voix lui tient maintenant compagnie

4/ Il fumait trop.

La seule marque de cigarette appréciable des « gitanes »

Son seul vice disait-il.

Dépendant, complètement seul avec ses sifflements de poumons qui chuintent.

Souffrant et gênée pour respirer un peu plus

Sa seule compagnie : cette bouteille d’oxygène au garde à vous. Indispensable aussi  le dispositif et son masque contre l’apnée du sommeil

Il habite le seul quartier poussiéreux où on procède à la destruction d’une tour en béton pour réhabiliter le quartier.

5/ Traverser seule la ruelle pour se rendre dans la petite boutique du quartier paisible.

Seule à décider de son repas, de son lendemain. Manger distraitement debout

Elle se change et réalise que toute seule elle a du mal à passer ses vêtement au-dessus de sa tête, cela l’angoisse.

6/ Seule la Kiné passera aujourd’hui, pas les autres paramédicaux

Attendre que les aiguilles de l’horloge marquent les crissements des roues sur le gravier de l’allée.

12h 05 elle n’est plus seule la kiné dynamique et pleine de de bonnes attentions vient lui faire accomplir des tours de son jardin en veillant à ce qu’elle ne dévie pas de la ligne imaginaire, ni s’affale

12h 20 comme un arrêt brutal, un « à demain! !» et elle est déjà parti, lui laissant un grand sourire.

Seule de nouveau mais ce sourire de compassion et d’affection va la tenir quelques heures.

7/ Seul par choix. Vouloir rester seul quand on est souffrant et déprimé.

Loin des tumultes des bruits incessants de circulation, loin des activités bruyantes habituelles.

Se recroqueviller sur soi- même, se lover sous les draps

Avoir froid, avoir froid et se lever se faire tout seul son grog.

Le boire à petites lampées seule le réconfort et la brulure dans la gorge du mélange

Complètement seul, mieux que mal accompagné reste sa devise.

Jean-Yves LEBORGNE

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