#Anthologie#03 : Le mortier sans pilon
Il est lourd, plus d’un kilo. Mais petit : dix centimètres de haut sur onze de large en haut. De quelle matière est-il fait ? Il est lourd pour sa taille. C’est pour ça que je l’ai acheté. Je n’avais aucune raison d’acheter un mortier encore moins sans pilon. Je voulais un abreuvoir pour les oiseaux qui sûrement crèvent la soif chaque été. Abreuvoir fait penser à ces demi-tubes en inox longs, reliés à un réservoir cylindrique et destinés aux vaches laitières. Malheureusement c’est aussi le mot abreuvoir pour les oiseaux, même si un mot destiné aux oiseaux devrait être plus élégant. Il devrait y avoir un mot pour les bovins voire le même pour les ovins, mais un autre mot pour les oiseaux. C’est sans doute l’élégance du mortier qui m’a fait acheter ce mortier. Il est blanc, blanc-cassé, comme du plâtre, d’ailleurs il a la douceur du plâtre sous les doigts, mais il faut le tenir à pleines mains à cause du poids, plus d’un kilo. Il est de belle matière : du grès blanc ? De la pierre ? L’élégance vient aussi de son bec verseur taillé dans la masse, ou modelé si c’est du grès blanc, un bec certainement très pratique, qui donne du plaisir à verser ce qu’on a pilé, sans débordements ni gouttes intempestives. A condition d’avoir le pilon. Un bec élégant de mortier élégant. D’aucuns diraient authentique mais là je me suis fait berner. On m’a dit un ancien mortier de pharmacie, en marbre, ça non. Je voulais un abreuvoir à oiseaux, j’ai acheté de l’élégance et du poids.
Je l’ai posé sur un pilier, tâché d’en faire un abreuvoir mais l’eau s’évapore sans cesse. A cause de ses six centimètres de profondeur, il faudrait le remplir sans cesse. Mais je ne peux le remplir sans cesse, même une seule fois le matin j’oublie. Quand je pense à le remplir, il est sale. La vase si c’est l’hiver, le sable rouge du siroco chaque printemps, les insectes morts. L’eau de pluie et le vent apportent sans cesse au fond du mortier du vert-noir. Il est posé sur le pilier à côté d’un vieux nichoir dont le bois se décompose et qui n’a jamais servi. Il y a sur le pilier la trace de mon rêve d’oiseaux qui se résume à l’élégance de mon rêve d’oiseaux. En voyant le mortier sans pilon et le nichoir en contreplaqué déglingué, j’ai des volatiles en multitude et en couleurs qui viennent animer le pilier. J’ai du vivant devant les yeux alors qu’il n’y a que l’inertie de la matière et pas la chaleur du vivant. Mais si je prends ce mortier, bien lourd pour sa taille, je ressens le potier, la terre ou la pierre, le potelé de la forme, la douceur du grain. C’est un peu vivant. Pour cela, il faut le soulever. Mais je ne soulève pas le mortier car il n’a pas de pilon. S’il avait un pilon j’aurais l’occasion de le soulever de le laver de le pencher. Encore que : il a des taches de peinture rouge et orange sur le côté, ça je n’avais pas vu. Les taches ne me conviendraient pas pour piler. Elles cassent l’élégance, donc je l’ai tourné du beau côté. Toutefois les taches n’ont pas d’importance pour l’oiseau. Ceci est évidemment un présupposé à vérifier. Si l’oiseau venait un jour s’abreuver, ce serait la métamorphose du mortier.
Du mortier à l’abreuvoir, j’aime beaucoup cette « métamorphose du mortier » !
Merci Anne!
… Merci de me faire penser à remettre de l’eau pour les oiseaux, je viens de voir dans le jardin qu’ils sont revenus s’installer dans un nid. et surtout merci pour le contraste poids plume. Élégant!
Joli retour!