Il n’y avait plus personne sur le parking du super U. Les autres étaient rentrés tous très chargés du plein de la semaine. Encore un temps de pluie, à pas trainer , le soir, dehors, un lampadaire sur deux éclairaient les bandes fluos qui indiquaient la sortie.
Ses courses achevées, elle se précipita vers son 4X4. Ses petits pas pressés sur des talons de 10 cm, zigzagaient entre les flaques. A bout de bras, deux gros tod-bags remplis à ras bord , feraient l’ affaire pour nourrir son frigidaire et son ventre qui gargouillaient.
Elle vida le contenu de ses sacs dans son coffre d’un geste rapide , en claqua la portière. Serrée dans sa jupe en cuir , elle remonta victorieuse, dans son 4X4 noir , flambant neuf.
Elle desserra , d’un geste brusque le frein à main, et entama une marche arrière , en dérapage contrôlé. Un de ses petits bonheurs quand elle était seule sur le parking. Avec un sourire de satisfaction, braqua et suivit machinalement le marquage au sol fluo en direction de la sortie , quand tout d’un coup, elle freina brusquement ce qui provoqua de gros jets d’eau de part et d’autre du 4X4.
Une chose informe , dans la pénombre , s’était , sûrement précipité, sous ses grosses roues. Elle entendit un bruit de froissement qui lui fit froid dans le dos. Elle descendit , en hâte , de son engin, toujours en se contorsionnant, et découvrit , le cœur battant, la victime qu’elle avait sans doute percutée.
Elle gisait, là, sur le sol, la gueule béante, le ventre ouvert, les roues écartelées ! Son revêtement en plastique pied- de -poule était d’un gris douteux. Des coulés jaunâtres suintaient de ses coutures. Il était , là, depuis trop longtemps, abandonné par ses propriétaires lâchement , sur le parking du super U.
Saisie de stupeur, elle restait, au chevet de sa victime, accroupie, sous la pluie, oubliant l’eau dégoulinant sur son broching et son visage remaquillé à la va-vite.
Elle s’imagina entrain de soulever ce corps vide et léger, le prendre dans ces bras, le déposer sur une couverture douillette, sur la plage arrière du 4X4 , l’installer délicatement , lui attacher la ceinture de sécurité pour lui éviter une chute fatale. C’ était dit , elle sauverait ce caddie, maintenant son caddie. Elle en était sûre.
Pourtant, elle restait figée, devant cet objet de qui elle se sentait indéfectiblement lié, s’imaginait tendre les bras et le soulever malgré ses salissures, malgré son odeur fétide, malgré sa désarticulation. Elle le poserait sur sa table de verre, pour le mettre à sécher, puis , elle enfilerait ses gangs en latex blancs et commencerait à opérer. D’abord , un lavage précautionneux à la bétadine, puis, stériliserait ses ustensiles de couture pour reprendre sa bouche béante, des deux poches de devant et surtout sa poche arrière qui devait lui causer son déséquilibre.
Ensuite , elle s’occuperait de redresser ses deux roues désarticulées, à force de pince et de coups de marteau. Enfin, elle reboucherait les trous des chambres à air grâce à sa bombe anti-crevaison. Elle imagina , enfin , Caddie, debout et fier sur sa table d’opération, éclatant et revigoré. Il y aurait , bien , un avant et une après cette rencontre, qui, pour eux deux, marquait le début d’une vie nouvelle.
Mais qu’allait-elle faire ,ensuite, de Caddie ? Choisir entre ses deux Tod- bags et lui , était une vraie question. Elle ne pouvait faire de choix. C’était trop , trop lourd et trop compliqué. Elle avait besoin de temps. Elle leva ses beaux yeux humides et dégoulinants de make-up, pour parler à la lune…. Mais pas de lune, la pluie, la pluie…
Alors , elle se releva doucement, et du haut de son 1 m 80 , dominant sa victime, elle se dit qu’elle serait , peut être encore là lendemain. Après tout, ce serait vraiment un signe du destin. Elle remonta dans son 4X4 et se dirigea doucement vers la sortie.
Texte très intriguant ! Le début plonge le lecteur dans un univers réaliste quotidien et puis ça bascule dans l’étrange. Tout devient troublant et inquiétant, notamment le personnage qui se liquéfie. Le vernis tombe et le gouffre n’est pas loin : « Elle ne pouvait faire de choix. C’était trop , trop lourd et trop compliqué. Elle avait besoin de temps. Elle leva ses beaux yeux humides et dégoulinants de make-up, pour parler à la lune…. Mais pas de lune, la pluie, la pluie… »
Merci pour ce texte Carole !
Merci pour ton retour ! A une prochaine alors….
J’ai adoré ton histoire, Carole !
J’ai trouvé excellente ta façon de tricoter entre le tragique et l’absurde, et passé un très bon moment à cette lecture.
Merci pour ce retour .
Bien à vous .