#anthologie #03 |  Mon sabre-coutelas

J’ai retenu comme cette injonction lointaine qu’il faut entretenir notre jardin.

Des années interminables à étudier puis travailler, apprendre, nuits blanches, gardes retenir de mémoire pleins de choses fut la première partie de ma vie d’étudiant permanent.

Toutes les corvées manuelles ou agricoles sont longtemps restées à distance

Des équipes d’activité « entretien d’espace vert » se sont multipliés dans le paysage des prestations de service à domicile. Elles se sont succédé dans mes jardins au gré des mutations professionnelles.  

Le temps faussement qualifié de temps libre survint maintenant.

Comme mes ancêtres il faut se consacrer, même un tout petit peu, à la terre.

Pour entretenir le jardin et sa fausse pelouse gênée par la rocaille majoritaire sur ma parcelle actuelle, survint le sabre pour compléter l’effort des tondeuse, taille haie ou débrousailleuse.

J’ai fait l’achat d’un sabre, MON sabre.

Auparavant de manière accidentelle ou épisodique, j’ai eu en main le sabre d’autres personnes, peut-être sans y penser j’en ai possédé mais aucune connivence n’avait eu le temps de s’installer. Juste un outil « banal » pour débiter des cocos à l’eau rafraichissante, certains Dimanche ou l’été, en vacances.

Avec ce sabre, mon coutelas je n’ai pas, je n’ai plus, la tête ailleurs, c’est en pleine conscience qu’il contribue à dépiauter ce qui me gêne ou à déloger une touffe d’herbe folle.

En conquérant faire le grand tour de mon terrain, le portant à bout de bras ballant ou parfois, serré sous l’aisselle.

Ce sabre, mon sabre, est doté d’élégance c’est un TRAMONTINA (assurément fabriqué en très grande série) sous son nom il est précisé, bien gravé, « made in Brasil » Je l’ai choisi plutôt il m’a choisi un Dimanche matin à Monsieur Bricolage.

Il mesure de la pointe au pommeau 47centimètre et demi

Trois cloutages enserrent fermement la partie que j’empoigne. C’est du définitif fabrication inaltérable, je veux m’en convaincre.

Je ne connais pas encore le Brésil mais tout m’enchante ce sabre m’évoque la bossa nova et les si caractéristiques association de frappé de corde des guitares et de percussion ! mais aussi la lutte, la rébellion.

En ce moment pour plus d’inspiration, je le tiens à plat sur les cuisses, sur mon jean.

Je l’observe au plus juste, il est bien paisible comme endormi.

Mon sabre ne luit pas car la lame par les deux faces de son aplati, s’est évidement assombri. La lame est très effilée, je m’en assure encore avec le plat de la pulpe de mon pouce.  

Je serre son manche noir et lisse entre mes doigts recourbés il se moule dans ma paume. Il habite tout naturellement ma paume

Tant pis si trop de vibrations et micro choc finissent par m’envoyer de petites décharges électriques. Les micro traumatismes répétés, c’est mauvais pour les pathologies du pouce et celles du « canal carpien ».

Mon sabre-coutelas donne une proximité du matériel c’est plus qu’une lame froide, une sorte d’intimité plus précise ; son tranchant est sans appel. Je peux compter sur lui il est fidèle et à disposition.

Pour service rendu et réciprocité, c’est bien par privilège que mon sabre n’est pas relégué comme les autres outils dans la cave ou le garage.

L’effleurant sans le brusquer, je le tire vers moi pour le sortir de sa cachette

S’en servir est jubilatoire et libérateur

Je l’empoigne après que la débrousailleuse ou la tondeuse aient fait leur office.

Un mouvement du cou et de l’omoplate vers l’arrière j’élève l’épaule droite le coude suit, je relâche le bras d’un bloc, tout en imprimant un mouvement sec du poignet. La lame donne le meilleur d’elle-même. Mes yeux sont vigilants, à l’affut. Anticiper, deviner : c’est gouverner son sabre, le protéger.

Rester vigilant au rebond traitre, s’il heurte violemment une pierre … à éviter…

Cet objet dans l’imaginaire collectif resté longtemps un symbole fort de nos campagnes, de virilité, de violence potentielle, d’efficacité de la menace, de vengeance personnelle, de trouble de voisinage.

Des images des vieux corps en chemin jadis pour nourrir leurs bêtes et rassembler des herbes à lapin, vont de la lame sombre comme un écran à mon esprit.

Ils portent de larges chapeaux de paille usés, ils vont souvent nu-pieds. Etait -ce le siècle dernier?

Personne ne marche plus à pied dans ce nouveau pays bétonné et touristique.

Contre les herbes indisciplinées je m’aide de la pointe qui transperce les petites failles du béton. les fentes des murets. Je la fais passer entre les creux des marches de béton qui se fissurent par endroit.

Choisi presque par hasard dans une frénésie de vouloir s’équiper de neuf, lassé des jardiniers organisés en autoentrepreneurs qui modifiaient trop souvent leur horaire de passage.

    —Je ferai mon jardin moi-même

Le sabre, mon sabre semble être le moins encombrant de mes outils il comporte une poignée dont le lissé semble anodin mais à l’usage j’apprécie sa préhension légère et  l’amorti des vibrations.

Sa lame s’ébrècherait ou s’émousserait ? avec le plus grand soin prévenir toute attaque de rouille.

Exiger un affut bien tranchant, la meuleuse s’avère le plus efficace.

Sinon je lui frotte vivement, par des mouvements circulaires, le fil de la lame avec une lime granuleuse qui fait crisser le métal ; en entretien régulier, le fil se colore d’argent brillant.

C’est ainsi qu’il me promet de faucher sans approximation les mauvaises herbes et petites branches des arbres à rafraichir.

Envisager de s’en servir, relève d’une anticipation indispensable ; l’usage et la mise en action ne peut s’envisager que lorsque la météo s’y prête, et aussi que l’esprit, que mon esprit… se focalise sur l’esprit du sabre, se focalise. Du pouce, je contrôle et évalue l’immédiateté possible de la coupure. Me couper… que quelqu’un se coupe…

Je tiens-là une arme tranchante de 6 ème catégorie. La lame est de taille courte. Au bout, prolongement de mon bras, pas de pointe renflée ni arrondie juste une pointe ponctiforme, pointue…

Le jour de l’arrivée et du déballage des achats, je m’en souviens.

Entre pouce et index : enlever l’étui de protection. Dodeliner de la tête pour décider de l’endroit où le ranger.

A l’intérieur de ma maison et non pas mélangé aux autres outils supposés être plus prestigieux.

Non, mon sabre se trouvera bien dans un meuble de la cuisine, dans un compartiment de rangement bas. A bout de bras, cérémonieusement, Il est rangé bien à plat

Certain type de sève gâte les lames des sabres dit-on.

Le sabre lui, passé à l’eau, dépouillé de traces de terre et du suintant d’herbes fraiches une fois soigneusement séché retrouve son casier le dernier tout en bas d’un range bouteille paisible à l’horizontal c’est sa niche coutelas devenu fidèle.

Après ma douche et le repos des muscles des bras et du dos il faudra masser mes mains en insistant sur la droite. Aussi enfiler une attelle de pouce

Mon sabre ramène la vision de mon père. Rentré du lycée, débarrassé de son costume trois pièces, préparant ses boucans, torse nu vieux pantalon maintenu par un vieille ceinture toute rapée, son sabre à lui, planté, fiché en terre, en attente de servir…Boucans pour batailler les moustiques et entretenir son jardin en brulant quelque tas d’herbes et branchettes sèches.

C’est dans son jardin qu’on le trouvait visiteur de fin de journée (soleil en partance) réhausser pour les lendemains l’éclat de ses parterres de fleurs.

Lui qui se disait trouver l’inspiration pour ses cours, la sagesse et l’apaisement.

 Au côté de son sabre, on tire tout cela d’un contact charnel avec la terre.

Jean Yves LEBORGNE