On ne peut pas se tromper. Sur la porte, avant d’entrer, juste à hauteur du judas, collée sur le bois peint en blanc, une photo d’elle, souriante, et en dessous écrit à la main sur un carton blanc, son prénom. La porte a une serrure mais qui ne sert jamais. Sauf il y a quatre ans, on a enfermé des êtres humains, en âge de mourir de vieillesse, par peur qu’ils meurent de contamination. Certains sont morts, assurément, de solitude, d’angoisse et de chagrin. Elle, elle n’était pas encore arrivée là.
Quand on pousse la porte et qu’on on vient la voir à l’heure de la sieste, c’est elle qu’on voit, en premier, sur la droite. En baissant les yeux, on croise une table de chevet, identique à celle des chambres d’hôpital. Couleur et matière d’un blanc froid. Sobre, utile, sans plus. On n’a pas pu installer sa table de chevet à elle, pas assez de place.
Dessus, c’est encombré, à cause de ses crises d’asthme.
un inhalateur Omrone X103 à haut débit avec tube à air et embout buccal
un concentrateur d’oxygène Amoxis 7l avec des longs tuyaux
un exerciseur pulmonaires Malenci avec à côté une petite boite ouverte contenant 3 minuscules boules d’acier et deux embouts
Le lit occupe presque la moitié de la surface de la pièce. En basique harmonie avec la table de chevet. Comme on en voit des semblables dans les chambres hospitalières. Elle dort, paisiblement. Elle respire, lentement. Son châle en crochet rose autour de sa poitrine et de son cou, une couverture, sans couleur définissable, sur elle. Deux oreillers pour soutenir sa tête, devenue fragile, si fragile. Ils sont tout neufs, blanc comme neige.
Sur ce mur à droite, blanc, comme les autres, à hauteur de son regard quand elle est couchée, des photos, des grandes et des photomatons jaunis, des dessins, des petits mots. Un patchwork d’amour mal fagoté, plein d’intentions, d’attention. Les deux. De tendresse aussi.
Face au lit, la télé, branchée mais en sourdine, avec sa télécommande, posées sur un meuble bas sorti tout droit d’un de ses magasins glauques où on se perd facilement. Elle avait chez elle un magnifique meuble en chêne comme on n’en fait plus. Lui aussi, trop large, trop long, trop grand pour sa nouvelle si petite maison.
La fenêtre, juste en face de la porte, comme pour faire un courant d’air pour les êtres et les objets qui font ici trois petits tours et puis s’en vont. On dirait que les fleurs du jardin, foisonnantes, des roses et du jasmin, vont entrer, inonder la pièce de couleurs et de senteurs. Si on laissait le jardin en friches quelques mois sous une belle pluie, elles y parviendraient. On est au rez-de-chaussée. Pas haut à grimper.
Sur le mur de gauche, une porte coulissante, fermée. On entend des gouttes d’eau se noyer dans le lavabo, ou ailleurs, peut-être.
A la suite, un grand placard, vraiment grand pour une si petite dame qui rétrécit à vue d’œil. On a donné avant son arrivée la liste de ce qu’il doit contenir et c’est très précis.
TROUSSEAU A L’ENTREE (FEMMES) A LA MAISON DE RETRAITE (EHPAD) INVENTAIRE | QUANTITE REMISE A L’ENTREE | OBSERVATIONS DE LA LINGERE |
LITERIE | ||
1 oreiller | ||
Les draps et taies d’oreillers sont fournis par l’établissement | ||
LINGE | ||
6 serviettes de table | ||
1 sac à linge | ||
Les serviettes et gants de toilette sont fournis par l’établissement | ||
SOUS-VETEMENTS | ||
4 soutien-gorge | ||
4 combinaisons | ||
12 culottes | ||
6 collants ou paires de bas | ||
6 chemises de nuit | ||
VETEMENTS D’INTERIEUR | ||
2 robes de chambre (une légère, une plus chaude) | ||
2 paires de chausson | ||
GARDE ROBE | ||
4 jupes ou robes | ||
6 chemisiers ou polos | ||
2 gilets manches longues | ||
2 gilets manches courtes | ||
POUR LES PERSONNES INCONTINENTES ET ALITÉES | ||
3 Turbulettes (style baby gros d’une pièce) | ||
AFFAIRES DE TOILETTE | ||
1 brosse à dents | ||
1 brosse | ||
1 peigne | ||
1 coupe-ongles | ||
1 brosse à ongles | ||
DIVERS | ||
1 ventilateur en cas de grosse chaleur |
Comme il restait de la place, on a déposé tous les bibelots et autres petites choses sentimentales qu’elle aimait avoir chez elle, sur ses étagères, dans ses tiroirs. C’est son grenier à elle, avec tous ses trésors, de guerre aussi. La croix de combattant de son père, la carte de STO de son frère, et bien d’autres secrets.
Le bâtiment est vieux mais refait à neuf. Le sol est en lino gris bleu, la porte ne couine pas, on ne l’a pas réveillée en partant. Elle dort. La main sur sa poitrine. Des poumons en très mauvais état. Alors elle dort souvent, longtemps. Quand elle se réveille, elle sourit à la vie. Elle n’a plus peur de la faim, des bombes, elle a pénétré un autre monde. Elle connait encore par cœur ses tables de multiplication. Alors on joue des heures à compter ensemble, le temps passe vite. Pour elle, le temps semble ne plus exister.
Porte refermée, un regard à nouveau sur la photo. Son sourire continue d’éblouir et dessous c’est écrit : Ginette.
… présentation de débutante wordpress, pas su, pas pu réduire le tableau….
Une personne dans un lit d’hôpital ou d’EHPAD comme élément de paysage. L’inventaire tient lieu de pages de vie et laisse en suspens toute une existence que l’imagination du lecteur remplit. Un texte très subtil. Merci.
Merci, oui des pages de … fin de vie. Merci
Une écriture factuelle et précise avec tableau final! Merci, cette précision rend la situation très touchante. On y est dans cette chambre.