#anthologie #02 | à l’intérieur

Je n’en finis pas de revoir le corps de ma tante dans la chambre d’hôpital

La scène rentre dans l’oeil et se superpose à une autre. L’attente du néant devant le corps. L’attente de rien, juste l’accompagnement à respirer sur l’oreiller. Dans le dernier regard circulaire qui goutte à goutte s’écoule dans l’intraveineuse. Lent calmant du regard qui tourne sur lui-même, insuffle de la vie aux murs, avec nous à l’intérieur, mais très lointains

Par transparence, surgis en moi à travers la couleur des murs, ce vernis laqué qui fait glisser la peau des doigts, je revois les gestes de mon frère infirmier, il s’affaire tout autour contre les murs de son hôpital, très loin dans une autre région, et de l’autre côté, au bout des falaises, la gentillesse de la voix de ma sœur, infirmière à domicile, qui vit dans sa voiture, qui fait de la route, toute la route tous les jours, de bourgade en bourgade, parce qu’elle aime sillonner la terre, les yeux inscrits sur la vitre où dévalent les paysages. Les yeux dehors structurent la pensée. Et maintenant le souffle coupé, la voix de l’araignée à la radio, s’arrête, sortir de la voiture, la portière claque, faire la pas, s’approche et sonne, chercher la patiente un peu partout, elle la retrouve allongée au fond du jardin, qui l’aide à se redresser, l’aide à l’aide, et l’aidant se prend un coup à la nuque, le bas du bras se protégeant prend l’autre coup, la personne démente, il faut pourtant l’aider, les appels ne répondent pas, le répondeur s’ajoute au silence, ne reste plus qu’à aider sous les coups

Le corps de ma tante, le sourire si calme de Camille, ma belle-sœur infirmière, aile aussi aidante, les petits pas, les mots de solitude, la voix sourire le pli profond dans les murs qui fabriquent un tombeau de tendresse, souple comme une algue dans l’eau froide et arctique, fraîche et translucide

Le corps de ma tante, ma vision d’équinoxe, la tablette pliée abandonnée comme un bras désarticulé sur le bord du lit

Et la fenêtre trouble, remplie de paysages divers, marron tourbe de profil, la fenêtre tiède ramollit tout, les muscles de l’oeil, on s‘endort à force, à regarder la fenêtre

le regard glissant de la télévision perchée comme un oiseau oriental, là haut gorgé de couleurs

le regard pliant, tourne et croit encore à la porte, qui pourrait s’ouvrir, faire rentrer d’autres corps pour relancer le cœur depuis le dehors

Et puis tournant encore dans la chambre d’hôpital

Il revient l’oiseau, la main ouverte dans la bouche, il revient l’amer, et tiédissant

Le souffle doucement s’étiole, sans souffrance aucune, liant contre la fenêtre

Un jardin dans la mer

A propos de Françoise Breton

aime enseigner, des lettres et du théâtre, en Seine-Saint-Denis, puis en Essonne, au Cada de Savigny, des errances au piano, si peu de temps pour écrire. Alors les trajets en RER (D, B, C...), l'atelier de François Bon, les rencontres, les revues, ont permis l'émergence de quelques recueils, nouvelles, poèmes. D'abord "Afghanes et autres récits", puis en revues "Le ventre et l'oreille", "Traversées", "Cabaret", "La Femelle du Requin"... Mais avant tout, vive le collectif ! Création avec les anciens élèves d'Aulnay-Sous-Bois de la revue numérique Les Villes en Voix, qui accueille tous les textes reçus, photos, dessins, compositions sonores...

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