Je n’en finis pas de revoir le corps de ma tante dans la chambre d’hôpital
La scène rentre dans l’oeil et se superpose à une autre. L’attente du néant devant le corps. L’attente de rien, juste l’accompagnement à respirer sur l’oreiller. Dans le dernier regard circulaire qui goutte à goutte s’écoule dans l’intraveineuse. Lent calmant du regard qui tourne sur lui-même, insuffle de la vie aux murs, avec nous à l’intérieur, mais très lointains
Par transparence, surgis en moi à travers la couleur des murs, ce vernis laqué qui fait glisser la peau des doigts, je revois les gestes de mon frère infirmier, il s’affaire tout autour contre les murs de son hôpital, très loin dans une autre région, et de l’autre côté, au bout des falaises, la gentillesse de la voix de ma sœur, infirmière à domicile, qui vit dans sa voiture, qui fait de la route, toute la route tous les jours, de bourgade en bourgade, parce qu’elle aime sillonner la terre, les yeux inscrits sur la vitre où dévalent les paysages. Les yeux dehors structurent la pensée. Et maintenant le souffle coupé, la voix de l’araignée à la radio, s’arrête, sortir de la voiture, la portière claque, faire la pas, s’approche et sonne, chercher la patiente un peu partout, elle la retrouve allongée au fond du jardin, qui l’aide à se redresser, l’aide à l’aide, et l’aidant se prend un coup à la nuque, le bas du bras se protégeant prend l’autre coup, la personne démente, il faut pourtant l’aider, les appels ne répondent pas, le répondeur s’ajoute au silence, ne reste plus qu’à aider sous les coups
Le corps de ma tante, le sourire si calme de Camille, ma belle-sœur infirmière, aile aussi aidante, les petits pas, les mots de solitude, la voix sourire le pli profond dans les murs qui fabriquent un tombeau de tendresse, souple comme une algue dans l’eau froide et arctique, fraîche et translucide
Le corps de ma tante, ma vision d’équinoxe, la tablette pliée abandonnée comme un bras désarticulé sur le bord du lit
Et la fenêtre trouble, remplie de paysages divers, marron tourbe de profil, la fenêtre tiède ramollit tout, les muscles de l’oeil, on s‘endort à force, à regarder la fenêtre
le regard glissant de la télévision perchée comme un oiseau oriental, là haut gorgé de couleurs
le regard pliant, tourne et croit encore à la porte, qui pourrait s’ouvrir, faire rentrer d’autres corps pour relancer le cœur depuis le dehors
Et puis tournant encore dans la chambre d’hôpital
Il revient l’oiseau, la main ouverte dans la bouche, il revient l’amer, et tiédissant
Le souffle doucement s’étiole, sans souffrance aucune, liant contre la fenêtre
Un jardin dans la mer
Si beau, Françoise. Fragments de fins de vies, morceaux d’images et l’air en suspens. Si beau.
Un immense merci cher Jean-Luc…
Cela fait un an que je n’avais pas écrit avec le groupe, c’est un nouvel élan qui fait du bien… Vais de ce pas vous lire ! Bonne soirée à vous