#anthologie #02 | Noble vieille dame

La vieille dame l’aurait-elle entendu arriver ?

Il a franchi les 3 marches qui marquent la volonté de rehausser cette maison imposante bâtie sur les décombres de la précédente ravagée. Les matériaux toiture cloisons, contenu électroménager, literie, souvenirs, livres, dispersés par mille vents furieux nommé cyclone HUGO. Celle-là, de loin, semble quasi neuve de sa blancheur sur laquelle rebondit la forte luminosité du jour.

La porte basse d’accès à la véranda carrelée de 30sur 30, la porte  même hauteur que le garde-corps résiste, sa poignet se bloque un léger coup de hanche.

Ce garde-corps tout en aluminium offre tout le long de quoi appuyer les coudes attristés de « voir partir » la moindre visite qui s’achève. Il faut bien prendre congé à un moment, non ?

Cette maison aime les arrivées pas les départs un secret  comme un soupir d’ abandon.

Il avance sur la large véranda encombrée d’une longue table en bois précieux , un bois très dur foi d’ébéniste traditionnel.

Longue table protégée par une épaisse nappe antichocs gris clair. On devine toute fois les deux discrètes fentes qui trahissent l’allonge installée en permanence alors qu’elle vit le plus souvent seule, noble dame

Dessus la nappe à chaque bout, un rouleau de papier dit « essuie-tout »

Des verres de toutes tailles égouttent sur des torchons encore humides, vaisselle faite il y a peu.

En attente à égale distance des essuie-tout, un grand range-couvert chargé, alourdi.

A chaque compartiment bien rempli celui des fourchettes au millieu les cuillères (les grandes) et celui des couteaux le 4ème compartiment plus long latéral celui-là, contient un fratras grande cuillère à servir couteau à pain plus grand que les autres serrés les uns contre les autres à angle droit le compartiment des petites cuillères

Une pile d’assiette plate.

Tout autour, cinq chaises rembourrées récemment rénovées d’un tissu granuleux couleur claire. Depuis longtemps la sixième chaise est reléguée

Elle aurait prévu d’avoir besoin de dossier et de soutien pour ses bras ?

Les chaises sont dotées de dossier haut qui dépasse les têtes de la plupart des visiteurs.

La sixième chaise est remplacée par SON siège plus large plus stable les pieds en contact affirmé par de gros carré de feutrine anti bruit  mais surtout antidérapant.

C’est celui-là, le sien pas un autre. Le sixième est donc banni car sans bras a été relégué dans un coin pas trop éloigné entorse à sa maniaquerie que tout asymétrie visuelle peut déranger. 

La connaissant tout cela est apprêté au cas où une arrivée de visiteurs prêt à partager son repas se présenterait, un proche , une cousine, un descendant

Le besoin de présence permanente est sous-jacent malgré ses dénégations vivaces

—chacun a sa vie et je respecte ça, aime -t-elle répéter.

Les carreaux sont antidérapants car la pluie parfois par surprise chasse et ne lui laisse pas le temps de descendre les volets roulants. La vieillesse a ralenti les déplacements et affaibli les gestes. Des interrupteurs commandent l’ouverture ou la descente des lames solidement emboitées

La magnifique banquette ou bergère un des nombreux meubles créoles dont elle s’est équipée pour retrouver l’ambiance d’avant désastre.

Le dossier présente des motifs très délicats, arabesques, volutes et larges pétales de fleurs. Plaisant de pianoter ou effleurer du bout des doigts ces enjolivures sculptées en finesse.

De chaque côté un accoudoir, cylindre à courbe parfaite, ouvragé en bois rouge (le verni brille encore) la banquette tourne le dos au jardin et est tourné vers la table comme prompte à faciliter discussion et bavardages croisés. Dispositif étudié pour échanger avec les attablés.

C’est son autre poste de contrôle.

Un fauteuil berceuse fabriqué pour résister au temps déjà patiné, dont le dossier tressé en osier, retient un châle ample et coloré.

Noble dame aurait-elle entendu arriver celui qui est venu prendre de ses nouvelles.

    —je l’ai déjà dit je n’aime pas quand on passe en coup de vent.

La maison est grande ouverte, il sent sa présence.

Elle aurait tourné la tête ? décidée de bouder ? un peu genre « je n’aime pas les surprises » pourtant il a téléphoné comme chaque fois… impossible de la joindre. Il s’est inquiété au volant, sur la route.

Avançant d’un pas la fameuse table ronde récent objet de polémique futile, fut déplacée sans qu’on est pris l’avis de noble dame (dans l’urgence du moment) contre son gré lors de la fête récente de son 90 ième anniversaire.

Cette table ronde est remplie jusqu’au bord des bouquets de feuille tropicale qu’elle avait reçu ce jour-là : anthurium, rose de cayenne, oiseau de paradis, balisier, alpinia…

Elle a conservé pour les faire sécher les plus résistants spécimen. Elle avait reçu une grande quantité de vases et de pots fleuris.

Ils remplissent l’ensemble de la table ronde faisant presque disparaitre la nappe blanche brodée.

C’est beau aussi des bouquets de fleurs séchées. Le panache plus sec, plus rêche, ils font encore illusion, comme une queue de paon desséchée et déshydratée.

Cette pièce se trouve en enfilade de la véranda. En face contre le mur, une table rectangulaire. Dessus plusieurs albums de taille différentes étalent la promesse du récit (cent fois annoncé) du parcours de sa vie.

Les anniversaires, les hommages, les étapes importantes de vie de ses enfants, petits- enfants et arrière-petit-enfants. Les courriers pêle-mêle. Les poésies illustrées, des dessins enfantins encore intacts malgré les nombreuses décennies.

Elle aurait pu avec patience et un minimum de rigueur enregistrer, témoigner, partager dicter son parcours cette disposition reflète bien l’hyperactivité de cette dame persévérante jadis mais désorganisée désormais ce qui l’irrite beaucoup.

Il découvre et reconnait comme exhumés par elle tous les carnets vieillis  et différents cahiers accumulés, annotés en vrac au crayon papier, au bic vert, noir, ou bleu même quelques feuilles volantes glissées emprisonnées soigneusement, jalousement conservées elles les a rassemblé toutes ces archives, là. Encore un coup de tête. Dans ces moments d’humeur mauvaise elle boycotte tout et part en agressivité et colère changement de personnalité et sans doute de mimique

Les portes de séparation sont largement ouvertes.au fond une autre porte d’entrée. Point de départ de l’escalier qui monte aux chambres de l’étage. Sous le vide de l’escalier des étagères qu’elle vide et réorganise sans cesse. Bouteilles pour les apéritifs, quelques jeux de société un scrabble mal fermé et d’autres boites plates

Heureusement, la maison est grande un large buffet surmonté d’une glace dont les tiroirs s’ouvrent en tirant avec des doigts en crochet en atteignant par en dessous la fente prévue. La position fermée est renforcée par des aimants trop rempli ces tiroirs résistent ou se coincent.

Une corbeille de fruits papayes encore vertes, melon, un tout petit. Ces fruits-là sont tout faiblards cette année.

L’aurait-elle entendu arriver ?

Avec la vitesse de la pensée, il poursuit son regard global de salutation à la respectable demeure.

Son regard tombe sur les chaussures pour dedans ; il y les siens et ceux des enfants ou petits-enfants qui visitent plus fréquemment   

Vers le haut les poutres solides et majestueuses au point qu’on dirait un travail pour résister à tout autre cyclone dévastateur.

Un autre point cardinal une baie vitrée coulissante à deux larges vantaux constitue ouverts, un passage vers la cour ou le jardin de derrière.

En y réfléchissant et en observant nord, sud,est, ouest au points cardinaux une ouverture ou une percée : un passage vers le dehors.

L’atmosphère chargée de souvenirs et de verbiage incessants a besoin de plusieurs sas de décompression. L’air circule et se renouvelle.

La dame ne cesse jamais de parler si elle ne parle elle va rire tristement ou s’étrangler la voix dans des sanglots lointains.

Il ne l’entend pas. Il avance encore.

La maison est grande, toutes les ouvertures sont ouvertes

Pas de tapis au sol, jamais !

Serait-elle tombée ?

Son regard perçoit un des trois chats roux lovés sur un coussin de la banquette -bergère

Un autre emmêlé par jeu dans un jeté de lit patchwork sur le canapé d’angle moderne.

Noble dame est dehors, à l’arrière de la maison dans une cour couverte, son téléphone dans la main gauche déformée d’arthrose.

Ses cheveux très abondants sont touffus et blanc autour de son beau visage à peine creusé de quelques rides, ses joues restent pommelées révélant des taches de rousseur sur sa peau brune de chabine.

Ses cheveux ne sont pas finis d’être tressés, cette tâche elle l’accomplit toute seule lentement, patiemment. Le matériel pour se coiffer est en attente un gros peigne noir à manche, une brosse solide des épingles à cheveux.

Ce travail sans doute aurait été interrompu par cet appel meublant transitoirement sa « solitude »

C’est pourquoi il ne pouvait pas la joindre…Elle tenait conversation.

Elle a écouté l’appelant, c’est pourquoi il ne l’entendait pas en pénétrant dans ces lieux

C’est au tour de noble dame de parler pour l’autre bout de son portable

Lui, il peut encore attendre.

Jean Yves LEBORGNE

2 commentaires à propos de “#anthologie #02 | Noble vieille dame”

    • tonn soutien me porte dans ce challenge où l’usage de wordpress est une grande première.
      Merci de m’avoir lu et encouragé jean yves L