#anthologie #01 | À l’usine

Arriver. Arriver à l’usine.

Un portail arborant un ruban de fer TREFILERIE CABLERIE. Pourquoi pas « Arbeit macht frei » ? Le travail-émancipation, le travail-libération, le travail-délivrance… Garer son vélo parmi tant d’autres, fermer l’antivol, glisser la clé dans sa poche, vérifier qu’elle y est bien, marcher dans la rue principale de l’usine, vers les bâtiments de la direction. Pensant encore à l’enseigne de l’entrée, s’interrogeant.

Et, tout de suite, l’horodateur. Queue d’ouvriers, piétinements inquiets devant la machine tamponnant, perforant les cartes de présence « tiquetic, tiquetic, vitevite, vitevite », avant la sonnerie de relève des équipes de nuit. Être à l’heure, une obsession. Croiser des hommes, des hommes surtout, achevant une cigarette, sommeillant encore de leurs yeux rougis du trop peu de sommeil ou d’un trop d’alcool du matin. Poignée de main des connaissances, clin d’œil d’un dragueur.

Vestiaire des femmes, armoire métallique, bleu de travail, chaussures de sécurité. Souriant dans l’atelier « des 2 brins », souriant d’avoir du travail de corps, souriant de ses cuisses, de son dos, de ses bras, de ses mains, aux ordres de sa tête. Savoir soulever, porter, enfiler sur le dévidoir des écheveaux de fil de fer de 30 kg. Connaissant le montage, le chemin des brins dans sa bécane, et faire des canettes de 25 m. Ne pas oublier de remettre le compteur à zéro. Surtout pas !

Pénétrer dans l’atelier, c’est comme s’engouffrer dans un orage. Chaines de bobines oscillant dans un sens dans l’autre. Tordre le fil pour en faire des câbles. Odeur de graisse, goût métallique dans la bouche, touffeur sous la verrière. Silhouettes dans la pénombre, zombis en bleus, s’affairant, surveillant, râlant pour une bobine défectueuse. Stopper sa câbleuse, c’est perdre de l’argent !

Gagner son poste de travail, voir sur le charriot quelques rouleaux de fil, prêt à être bobinés, remercier d’un baisser de paupières la fille qu’on remplace. Trop de bruit pour parler.  Arrivée du contremaître du matin, départ de celui de la nuit. Coup de trompe, sirène pour le vaisseau. Vacillant, changeant d’équipe, perdant l’équilibre, le retrouvant grâce à ses câbleuses.

Toujours appliquées, infatigables, zélées.

A propos de Emilie Kah

Après un parcours riche et dense, je jouis de ma retraite dans une propriété familiale non loin de Moissac (82). Mon compagnonnage avec la lecture et l’écriture est ancien. J’anime des ateliers d’écriture (Elisabeth Bing). Je pratique la lecture à voix haute, je chante aussi accompagnée par mon orgue de barbarie. Je suis auteur de neuf livres, tous à compte d’éditeur : un livre sur les paysages et la gastronomie du Lot et Garonne, six romans, un recueil de nouvelles érotiques, un récit hommage aux combattants d’Indochine.

5 commentaires à propos de “#anthologie #01 | À l’usine”

  1. C’est la façon dont les lettres de Tréfilerie Câblerie sont façonnées, en métal, dans un bandeau, qui lui fait penser au message d’accueil cynique des camps de concentration. Du coup, elle se demande si son boulot est émancipateur. Juste une pensée qui la traverse, elle est vite reprise par le commencement de sa journée de travail.

  2. Merci pour votre commentaire, Carole. Dans une tréfilerie câblerie on fait des fils de diamètres différents qu’on torsade pour en faire des câbles, du plus fin (câble de frein de vélo par exemple), au plus gros ( câble de téléphérique). C’est un monde bruyant, plein de machines. N’oublions pas qu’aujourd’hui comme hier, il y a des hommes et des femmes pour faire fonctionner ces machines.

Laisser un commentaire