#anthologie #01 | La maison des pratiques amateures

Table du cycle

#Prologue |  Venir au Monde
#01 | La maison des pratiques amateures

#01 | La maison des pratiques amateures

Savoir exactement combien de temps il faut pour atteindre à pied le vieux théâtre. Avoir toujours rêvé de cela, d’aller à pied au travail. Dans les faits, trouver parfois, souvent, ce temps encore trop long, en tout cas plus long que la préparation mentale nécessaire, vous savez, ce temps de bulle de rien avant de faire. Se dire, à chaque fois qu’un premier mouvement est enfin entamé pour sortir de chez soi, à 16h31 grand max, qu’il pourrait ne rien y avoir plutôt que quelque chose, Platon toujours avec soi au cœur de la marche.

16h50 grand max toujours, apercevoir du coin de l’œil des gamins en train d’engloutir une crêpe wahou ou un truc en gélatine, sourire d’un air entendu, à tout de suite, à tout de suite. Avaler les marches de l’escalier monumental de l’ancien pensionnat reconverti en lieu estampillé pratiques-amateures-éduc-pop-culture-pour-tou·tes. Sourire rituellement devant la bobinette-chevillette qui s’ouvre à l’envers, piège pour retardataires. Dans la semi-pénombre du hall, deviner les anciennes classes transformées en bureau, en bas il y a des cachots reconvertis en espaces de stockage, nous on monte, escalier-djembé, nouvelle poignée de porte montée à l’endroit, notre nouvel espace vide attend, un refuge pour oiseaux de passage. Allumer les néons, tirer les rideaux noirs, faire apparaître le vasistas, tirer sa soupape à air frais, inspirer.

Déplacer les bancs, installer un coin à soi, aplatir sa préparation sur la table empêchant l’accès aux combles, se servir un verre d’eau, jeter l’indispensable coup d’œil circulaire.

16h59 grand grand max. Descendre chercher les gamins. C’est enfin parti.

#prologue | Venir au monde

J’ai été un résultat de dés. J’ai été rencontrée. Il a fallu écrire mon grand livre dans le chaos. J’ai été secouée et mélangée comme des feuilles de laitue. Bouléguée aurait dit ma mère ; touillée aurait dit mon père. J’ai été hurlée.

J’ai été une absence de règles ; une absence de sommeil ; une douleur de sein, d’estomac, d’intestin, de jambe, d’utérus ; un déluge hormonal.

J’ai été élaborée pas comme un immeuble, non non pas du bas vers le haut, mais comme un univers, du petit vers le gros.

J’ai été ma maman, complètement, totalement elle. Il paraît qu’un bout de moi gisait déjà là dans ma maman quand elle était dans ma mémé. Il y avait déjà un bout de ma fille folliculé en moi vingt semaines après le grand touillage — boulégage — dans le ventre de ma maman.

J’ai été fabriquée à grand bruit dans une obscurité rassurante. J’ai rebondi souplement, dans une gymnastique aquatique élégante, quoique resserrée.

J’ai attendu pour naître. J’ai beaucoup attendu pour naître. Mais une fois que c’était parti, c’était parti. Pour toujours. Pour toujours séparée de ma maman. J’ai eu froid. J’ai eu envie de mourir, boucler la boucle. J’ai voulu l’Odyssée, pas l’Iliade.

J’ai eu une grosse tête rigolote à laquelle on souriait. J’ai souri, j’ai été papouillée. J’ai re-souri, j’ai été re-papouillée. J’ai appris qu’en souriant on avait des papouilles. Premier principe.

Une fois l’essentiel là, ne restait plus qu’à apprendre le reste, comme une femme.

A propos de Sophie Hutin

Metteuse en scène & Formatrice à *La Marcheuse* : Théâtre | Danse | Performances | Action sociale ---> http://LaMarcheuse.fr Avance dans l'écriture avec lenteur et pugnacité

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