J’entends une drôle de voix ce matin, une drôle de voix qui me parle. La même que celle de mon adolescence qui avait soif de savoir ce que serait l’avenir, qui me demandait où j’irais, ce que je ferais, si je deviendrais célèbre, s’il n’était pas déjà trop tard. Trop tard, oui je pensais déjà au trop tard. J’en ris maintenant ou j’en pleure, cela me rend triste. Je suis au même point malgré des années et des années vécues. Cinquante, soixante, soixante-dix. Et mon corps, comme il me préoccupait à l’époque, comme il me préoccupe à nouveau. La voix, est-elle devenue plus bienveillante, plus sereine qu’avant ? Pas du tout, la même angoisse de l’inaccomplissement qui tenaille, qui inspecte, scrute le néant informe qui est toujours là. Néant informe, bouillonnement de la soupe primitive avant que se dessinent l’organisation et la structure. Pas de paix, pas de repos. Les mêmes plaisirs sacrés qui m’envahissaient alors, la même jouissance devant le spectacle de la nature ou la découverte d’un auteur, la même curiosité pour comprendre, apprendre, faire des liens. La jouissance intellectuelle intacte qui se transmet de la racine des cheveux à la pointe des orteils. Mais le même regret de ce n’est pas assez, c’est juste une marche d’approche, un palier vers autre chose de plus grand. Et l’amour ? Comme cela me tourmentait alors, me faisait souffrir de ne pas savoir, de ne pas trouver, d’errer jusqu’au désespoir. Combien de temps passé non pas en pure perte je dois le reconnaître, mais en douleurs parfois atroces que le temps a guéries. J’avais peur de l’abandon, maintenant c’est la perte qui me terrifie. Ce n’est ni un progrès ni un accomplissement. La voix parle de regrets. Avais-je des regrets à seize ans ? Pas de souvenirs, juste celui que tout était à venir, qu’avant cela ne comptait pas. Et maintenant, que me dit la voix ? Transmets ce que tu sais, ce que tu as appris ! Pâle consolation, impossible gageure. Daté, gâté, obsolète. J’ai vécu un autre temps, une autre époque, d’autres espoirs, d’autres outils, d’autres moyens. D’autres combats et aucun de gagné, ou si peu. Hier j’ai lu France Théoret, un court roman. Zoé Rose, le personnage enseigne Refus global, un manifeste québécois de 1948, parce qu’elle le trouve pertinent, actuel, digne d’attention aujourd’hui encore. C’est peut-être elle qui m’a mis toutes ces idées en tête. Elle a 81 ans.
8 commentaires à propos de “#anthologie #26 | Refus global”
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Merci ! Je n’ai pas lu Zoé Rose-bien joli prénom d’ailleurs-mais la voix me parle. Elle glisse avec bonheur le long du texte.
Merci Monica. Zoé Rose est un beau livre.
Quel beau texte et la traversée de cette voix intérieure qui commente toute une vie et qui revient sans cesse pour revenir hanter notre présent de sa présence comme une sorte de Jiminy Cricket la bonne conscience en moins mais (peut-être) la sagesse en plus !
Merci Camille. La sagesse ? Non, n’y compte pas, ça ne vient pas ; le renoncement peut-être.
Beau chemin de voix , j’aime bien celles qui n’ont pas changé, curiosité intacte.
Merci.
Bon ! Oui il faut se méfier de l’expérience, ça éclaire le passé pas l’avenir ni le présent. Gagner des combats ? Allez ! vivre ici et maintenant, c’est bien aussi. Un petit bonjour et bises.
Bonjour et bises à toi aussi. Tout va bien, même quand on ne rajeunit pas. J’écris plutôt contre l’âgisme, étonnée de penser comme à 16 ans.