J’ai ouvert ma main, j’ai écarté mes doigts.
J’ai senti le liquide caresser mes phalanges. J’ai ouvert mes mains, j’ai refermé mes mains. J’ai sucé mon pouce. J’ai goûté mes doigts. J’ai goûté le monde avec mes doigts.
Je suis née. J’ai senti l’air tiédi de la salle d’hôpital passer entre mes doigts. J’ai sucé mon pouce. J’ai goûté le monde avec mes doigts. Sur la peau de mes doigts, sous la peau de mes doigts, j’ai senti la chaleur d’une peau contre ma peau. J’ai tenu ta main. J’ai lâché ta main.
J’ai touché des matières, du mou, doux, rugueux, râpeux, poilu, pointu, coupant, tranchant, gelant, brûlant, lissé, bosselé, collant, coulant, gluant, craquant. J’ai attrapé des choses. J’ai compris l’usage de mes mains, j’ai travaillé, cherché, essayé, échoué, recommencé, maîtrisé, raffiné l’usage de mes mains. Prendre, lâcher, jeter, rattraper, écrire, tourner les pages d’un livre, suivre avec le doigt les lignes avec les lettres, avec les mots, avec les phrases.
J’ai compté sur mes doigts. J’ai compté deux doigts et deux pommes avec le même deux. J’ai touché l’abstraction. J’ai pensé donc j’ai été. J’ai été pour moi et j’ai été pour toi. Sur la peau de mes doigts, sous la peau de mes doigts, j’ai senti la chaleur d’une peau contre ma peau.
J’ai vécu. J’ai aimé, j’ai haï. J’ai construit, j’ai détruit. J’ai vécu. J’ai tremblé. J’ai beaucoup tremblé. De peur, de rage ou de bonheur. J’ai tenu ta main. J’ai lâché ta main.
J’ai ouvert ma main, j’ai écarté mes doigts
Ah ! je te retrouve bien là ! j’avais particulièrement aimé ton texte qui explorait le silence par les odeurs… aujourd’hui tu convoques le toucher !
“ J’ai tenu ta main. J’ai lâché ta main.“
Tu découvres le monde en le touchant du bout de tes doigts… et tu m’as touchée !
Merci pour la lecture et pour la touche !
Très beau texte Juliette.
Super l’angle du toucher, des mains pour dire l’arrivée au monde, pour dire la relation à l’autre, à la vie.
Et coup de cœur pour ce paragraphe : « J’ai touché des matières, du mou, doux, rugueux, râpeux, poilu, pointu, coupant, tranchant, gelant, brûlant, lissé, bosselé, collant, coulant, gluant, craquant. J’ai attrapé des choses. J’ai compris l’usage de mes mains, j’ai travaillé, cherché, essayé, échoué, recommencé, maîtrisé, raffiné l’usage de mes mains. Prendre, lâcher, jeter, rattraper, écrire, tourner les pages d’un livre, suivre avec le doigt les lignes avec les lettres, avec les mots, avec les phrases. »
Oh, merci Annick !
Et contente de partir pour ce boyau avec toi
» J’ai touché l’abstraction. J’ai pensé donc j’ai été. J’ai été pour moi et j’ai été pour toi. Sur la peau de mes doigts, sous la peau de mes doigts, j’ai senti la chaleur d’une peau contre ma peau. » L’ouverture au monde par les mains, presque sans anicroche, mains ouvertes sans doute précédant les tiennes. https://www.cairn.info/devenir-soi-avec-d-autres–9782749277943-page-9.htm?contenu=resume
À mon avis , rien de tel que les mains pour attraper le monde
Beaucoup aimé ton texte Juliette ! Oui l’importance du toucher, de la main, des doigts, du lien à autrui par la main !
Et aussi aimé : J’ai compté sur mes doigts. J’ai compté deux doigts et deux pommes avec le même deux. Toujours cette petite note d’humour..
Merci pour ta lecture et pour avoir relevé le deux. Apprendre à compter est un côté de la construction des humains qui m’est cher
Tactile ! Et de l’avance sur le jour 1, les infinitifs 😉
Mince, j’ai volé le départ sans même le faire exprès
Toujours la main… et jamais la même main !
Oui, pas encore fait le tour de la main j’ai l’impression.
Merci de ton passage