Je suis venue au monde. Hiver 82. Neigeait-il ? Pleuvait-il ?
Qu’y avait-il dans mon premier cri ? De la peur ? De l’audace ?
J’ai poussé d’autres cris pour dire et pour qui tu te prends sérieux, pour dire mais si je t’aime, pour dire de l’air s’il vous plaît j’étouffe.
J’ai prêté ma main aux illusions, aux certitudes, au chaos.
J’ai prêté mon pied à la fuite, à l’éphémère, aux doutes.
J’ai prêté mon oreille aux chuchotements du vent, le nuit, caresse.
J’ai prêté mon corps entier aux premières fois.
Première lettre d’amour, Ludovic, bus scolaire, les reproches de la directrice d’école à l’interclasse. Premier bisou, Jimmy, cour de récréation sous un panier de basket. Première rupture douloureuse, Geoffrey alias bouboule, j’ai pas compris pourquoi.
À cette époque, savait-on que ça ne durerait pas toute la vie ? C’était quoi durer toute la vie ? Qu’est-ce qui dure toute une vie ? Certains chagrins ? Certains visages ? Que savions-nous de la vie ? Qu’en savons-nous à présent que nous sommes adultes ?
J’ai longtemps mangé des choux de Bruxelles, puis j’ai arrêté.
J’ai mangé des frites-fricadelles-mayonnaise dans des friteries, ‘Le Grain de Sel’, ‘Super Frites’ avec ma sœur et des amies, puis j’ai arrêté.
J’ai voyagé. Espagne, Italie, Tunisie, Canada, Sénégal, Paris, Lille, en famille et en solo, puis j’ai arrêté.
J’ai trouvé ma ville repère, Marseille.
J’ai souvent cueilli du muguet et des jonquilles dans le bois de Flines, à Péronnes, avec ma sœur et mes parents, puis j’ai arrêté. Parfois, on pique-niquait au Grand Large, la peur des piqûres d’abeilles.
J’ai eu quelques plantes vertes et des orchidées, puis je m’en suis débarrassée.
Et l’odeur de jasmin, un parfum acheté dans un magasin discount.
J’ai longtemps dormi sur le ventre, puis j’ai arrêté.
J’ai regardé les sitcoms AB Productions et Envoyé spécial, puis j’ai arrêté.
J’ai écouté de nombreux boys band, en boucle, parce qu’une chanson en boucle, ça console, ça rassure, puis j’ai arrêté.
J’ai lu Flair, Femmes d’aujourd’hui, puis j’ai arrêté. J’ai alors lu Causette, Axelle Magazine et Flow, puis j’ai arrêté.
J’ai commencé à fréquenter le centre culturel. Ses pièces de théâtre, les seul en scène, les films d’art et essai. Bousculement. Puis j’ai arrêté.
J’ai conduit une Renault Scenic grise pendant dix ans, puis j’ai arrêté.
J’ai aidé au Repair Café, puis j’ai arrêté.
Je lis Mauvignier, Perec et Ernaux. J’écoute du rap, KT Tunstall et Anne Akiko Meyers. Je ne sais pas quand je vais arrêter. Je ne sais pas ce qui les remplacera.
Je vais dans les magasins de seconde main, au Colruyt et au Lidl. Je pense que ça ne changera pas.
J’aide les exilés, parce qu’aider les exilés, c’est faire ma part pour les autres, et les autres c’est ce qui me fait tenir debout, marcher.
Je ne pense pas à arrêter.
J’étudie les langues.
Je veux enseigner le français langue étrangère.
J’ai appris à parler en nous, puis en je, et maintenant je cherche un équilibre entre les deux, entre voracité du faire et être ensemble et quête d’identité.
J’accélère, ralentis, ré-accélère, je cherche mon propre rythme dans ce monde.
Je déconsomme toujours un peu plus.
Je déconnecte d’Internet toujours un peu plus.
Je change d’avis, trop souvent, ça use, j’accepte.
Je fais ce que je peux, du mieux que je peux, c’est déjà pas si mal.
n’arrête pas hein – ça ne fait que commencer…
Merci d’être passé par ici. Sûr que ça ne fait que commencer, on va tous s’accrocher…
Oui surtout ! C’est trop bien …
Merciiii <3
du rôle conjoint des points d’interrogation et des choux de Bruxelles !
Merci pour ta lecture François. Superbe proposition d’écriture. Chouette découverte du texte de Peter Handke.
Bien vu ! un vrai bonheur d’avoir de tes nouvelles !
Merci Danièle. Plaisir de te retrouver.
J’aime la formule Je me suis arrêtée, elle est à la fois un coup de frein à la chose du moment et avec les 6 syllabes, une petite vague, un ressac
Merci pour votre commentaire Catherine, pour votre regard. Ca m’aidera à affiner le texte lorsqu’il s’agira d’y revenir.
J’aime bcp la construction du texte , les « j’ai arrêté », » ca ne changera pas » , » je ne pense pas arrêter » … qui sollicite le lecteur jusqu’au temps présent , avec une pointe d’humour » je change d’avis trop souvent » . Très réussi ce texte. Ravie de l’avoir lu .
Merci beaucoup Annick pour ton commentaire qui me booste pour la suite. Bel après-midi.
Welcome back Annick, et merci pour ces petites ou grandes ruptures qui rythment nos vies et dont on ne se rend pas toujours compte. A moins d’un regard par-dessus l’épaule.
Bravo !
Un tout grand merci pour tes mots Delphine. Au plaisir de se lire, se retrouver. Amitié.
Merci pour « j’ai… puis j’ai arrêté » … merci pour : les autres qui font tenir debout , pour le corps entier prêté aux premières fois… merci pour ce texte.
Merci à toi Nathalie. Belle route dans cet atelier d’été. Je viens te lire dans quelques minutes.
L’alternance « j’ai… j’ai arrêté » est saisissante, entre la drôlerie « J’ai longtemps mangé des choux de Bruxelles, puis j’ai arrêté. » et un sentiment plus intrigant voire d’irrémédiable. Merci pour ce texte marquant
Un tout grand merci pour vos mots Muriel.