J’ai aimé être seule. J’ai rêvé que j’étais seule. Sans le bruit des enfants qui courent. Sans le cri des enfants qui jouent. Je me suis toujours sentie envahie par la présence des autres. Je me suis consumée de leur absence. Je me suis éteinte. J’ai fait semblant d’être bien avec eux, même quand le son des voix tambourinait trop fort dans ma tête. J’ai attendu longtemps leur départ le matin. La nuit j’ai refusé de dormir pour être suffisamment épuisée. J’ai fini terrassée, absente au monde. J’ai fait acte de présence quand il le fallait. J’ai cessé de parler ou alors j’ai beaucoup trop parlé. J’ai occupé tout l’espace. Je me suis démultipliée dans le vide de notre salon. J’ai tyrannisé leur vie. J’ai parlé trop fort pendant leurs matchs de football. J’ai annoté leurs mots. Parfois, j’ai aimé me balader nue dans la maison silencieuse. J’ai écouté le frottement de ma peau lorsque les jambes s’allongent sur le canapé. J’ai souvent mis mon corps à l’horizontale. J’ai regardé la cime des arbres. J’ai espéré le mouvement des racines. J’ai entendu le chant des oiseaux dans le vent. J’ai vibré de solitude. Avant que l’eau ne vienne à moi, je l’ai désirée. Je la regardais si longtemps par la fenêtre que j’en oubliais presque le monde autour. La solitude me grisait. Je mettais un certain temps pour réapprendre à parler. Je ne voyais plus personne pendant des jours, des semaines. Peut-être des mois. J’ai pensé allumer le four pour y mettre la tête. J’ai songé à remplir mes poches de cailloux. J’ai interagi avec le voisinage. J’ai regardé les enfants qui sautaient dans l’eau. J’ai pensé que j’aurais aimé savoir nager comme eux. J’ai attendu leur retour. J’ai ponctué correctement chacune de mes phrases. J’ai été polie et bien élevée comme il fallait l’être. J’ai joué le jeu de la sociabilité. En venant au monde, j’étais une enfant solitaire. J’ai appris à parler seule. J’ai appris à vivre seule. Je me suis nourrie de cette solitude. Elle m’a engloutie alors que j’étais avec eux. C’est peut-être ce qui me rend coriace dans cette maison vide. J’ai trouvé ma juste place au milieu des pierres. Mais depuis sa retraite, la solitude qui circule dans la maison menace de m’effondrer. Je suis seule du matin au soir. J’ai accepté qu’il parte faire ses réserves. J’ai attendu qu’il rentre. J’ai régurgité ma vie de femme. J’ai compris que nos existences de presque soeur et frère ne sont pas séparables. J’ai joué. J’ai joué au mépris des autres regards. J’ai joué à la maman et au grand enfant. J’ai perdu. J’ai tout perdu. Je sais qu’il ne quittera jamais sa maison. Au contraire, quand il part, il l’habite chaque jour un peu plus.
Il y a un balancement dans ce fragment on se sent bercé jusqu’au vertige. J’aime beaucoup la densité et la texture comme dans cette phrase: « J’ai souvent mis mon corps à l’horizontale » ou encore « J’ai tout perdu. Je sais qu’il ne quittera jamais sa maison. Au contraire, quand il part, il l’habite chaque jour un peu plus. » Merci Camille
Merci infiniment chère Gilda d’être passée lire le prologue de ce cycle de fou qui nous tient depuis maintenant 35 jours. J’espère que tu avances bien sur ton projet de livre. Je sais que tu essaies d’écrire une histoire depuis le début du cycle en liant les propositions les unes aux autres. J’irai lire tout cela en août quand nous en aurons enfin fini des quarante jours. Et merci pour tes mots qui donnent de la force pour continuer. A très vite dans nos textes !