Je suis née le jour de son anniversaire, une nuit de tempête. Je n’ai pas entendu les arbres tomber sur la route. Je me suis nourrie de son lait à en être malade. Je vacille, je marche à neuf mois, je tombe, je me relève, je communique, je réponds même si je ne comprends rien, j’invente mon langage, je les fais rire et je ris, je sais dormir, je sais manger, je sais pleurer pour rien, je comprends que plus ce n’est rien plus il faut crier, je sais aussi le vrai chagrin, je comprends l’absence, elle est partie, je la fatiguais, je ne savais pas encore l’appeler, je ne savais rien des mots utiles pour la retenir, j’ai appris la séparation, je n’ai pas compris le temps, j’ai appris à ne plus crier, ça ne servait à rien, j’ai appris les mots de silence. J’ai dormi, mais surtout pas la nuit. Je n’avais pas compris le jour. Je me suis réveillée à l’école à contre-courant de mes projets d’enfant. J’ai répondu à un surnom à en oublier mon prénom. J’ai été en état de choc au prénom retrouvé pour une nouvelle personnalité. Fini de rire, il faut grandir. J’ai arrêté de rêver, il faut un métier, gagner sa vie, la perdre aussi. J’ai coupé mes racines, j’ai enfanté pour en donner. J’ai accompagné, me suis inquiétée pour tout ce qui n’est pas arrivé. J’ai travaillé, j’ai écouté, je me suis adaptée, j’ai pris l’habitude de m’oublier. Je me suis musclée pour être dans l’air du temps. J’ai regretté le jour de notre anniversaire. J’ai aimé, j’ai moins aimé. Je me suis retraitée après des années rémunérées pour endormir ma créativité. J’ai retrouvé les rêves, leur ai laissé autorité. Je me suis roulée nue dans la neige, j’ai tenté de compter les étoiles, je n’y suis pas arrivée. J’ai tangué sur les océans à en être malade. J’ai arrêté de vomir. Je n’ai plus jamais bu de lait. Je n’ai pas sauté en parachute. J’ai arrêté de grandir. Je m’assagis à l’intérieur. Je respire au-dehors. Je transporte mon histoire. Je lis une addition d’émotions sur mon visage. Je ne peux prévoir le résultat, la somme finale.
« J’ai coupé mes racines, j’ai enfanté pour en donner. J’ai accompagné, me suis inquiétée pour tout ce qui n’est pas arrivé. […] J’ai retrouvé les rêves, leur ai laissé autorité. Je me suis roulée nue dans la neige, j’ai tenté de compter les étoiles[…] Je transporte mon histoire. Je lis une addition d’émotions sur mon visage. » et surtout :J’ai coupé mes racines, j’ai enfanté pour en donner. » C’est fou tout ce que vous avez mis d’essentiel en si peu de mots. Cela fait penser à quelqu’un qui viderait son sac avec véhémence et joie paradoxale. C’est dit, et c’est bien dit comme dirait Marguerite Duras.
Merci Marie-Thérèse, vos mots me touchent et au-delà me font percevoir l’envers de l’endroit que je n’avais pas réalisé. à l’écrire.
« J’ai regretté le jour de notre anniversaire » est-ce regretter de naître ou ne pas vouloir partager son anniversaire ? C’est fort.
Déjà merci pour votre lecture. Je suis née le jour de son anniversaire, l’occasion de toute une vie à le fêter ensemble jusqu’au jour où l’une des deux n’est plus de ce monde, alors oui j’ai regretté le jour de notre anniversaire , un deuil particulier que ce jour là où l’autre n’est plus.
« plus ce n’est rien plus il faut crier » – les enfants sont taquins hein
Oui mais pas qu’eux, n’est-ce pas ?
Merci.
Que de belles choses dans votre texte : inventer son langage, enfanter pour donner des racines, ne pas arriver à compter les étoiles, transporter son histoire et ce regret du jour d’anniversaire qui revient plusieurs fois dans le texte et qui bouleverse.
Le début aussi est très fort : je n’ai pas entendu les arbres tombés sur la route, comme une prémonition d’une fracture, d’un drame à venir, c’est fort. Merci
Merci Françoise, heureuse de votre lecture encourageante.