Naître ce n’était pas fait pour moi. Pas que je ne voulais pas, mais ça n’était pas prévu. Il fallait avoir un cœur plein. Faute de moyen, j’ai fini par naître. En morceaux. Je suis née cyanosée. Bleue comme dans Yoko Tsuno, bleu-oscar de la dame en rose. Je suis née en palpitant sur une table ensanglantée comme un gibier qu’on épargne, côtes saillantes souffle court et poids plume. Je suis née nuage percé dans leurs mains qu’ils se passent sans trop savoir, je suis née sentence qu’on murmure à ma mère. Deux nuits. Je suis née pour deux nuits. Ça vaut le coup deux nuits ? Je suis née pronostic, ce sera trois au mieux. A ce compte là une nuit c’est trente ans, il va falloir une super dame en Rose. Je suis née en hiver.
Il a plu sur Séoul. Il a plu sur leurs têtes à tous, il a plu sur le monde, pas sur moi, je n’appartiens pas encore au monde. L’extension de la chair tendre c’est le blanc hôpital. L’extension des poumons c’est le masque, l’extension de l’oesophage c’est la sonde, l’extension des veines c’est la tubulure. Ma vie est un câblage sans ciel et mon coeur est un trou où il ne pleut pas mais c’est tout comme. Il y goutte des nuages carbonés dans une rivière d’oxygène pur, ça écourte tout, le souffle, les gestes, la vie, puis il pleut dans les bras vides de ma mère quand on lui prend le demi corps qui ne lui ressemble déjà plus. Il pleut sur l’avion qui décolle mais il ne pleut pas sur moi. Je suis passée du blanc hôpital à une cabine grise, impersonnelle, suspendue au dessus du monde à mi chemin du paradis sur les routes du dénaître. Les nourrissons vont au paradis c’est sûr, même sans coeur. Il pleut sur les hublots devant mes yeux ouverts qui s’articulent sans le reste du corps déjà mort. Il pleut sur la vie dont je ne manque pas une miette.
Je suis née encore du long tunnel céleste, rejetée de la lumière à l’extrême ouest, extirpée d’un territoire fragile qui s’effondre derrière moi, sans douleur, juste un bout de coeur en moins et tout ce que j’étais autour. J’étais des mots que je ne suis plus. J’étais des gestes que je ne sais plus. J’étais des sons que je n’entends plus. J’étais ce goût rance de kimchi dans le lait de ma nourrice que je n’hume plus. J’étais la Corée et d’elle je nais, d’elle je dénais et par l’avion on m’accouche dans ses bras à elle.
Ici ça sent le Givenchy et le cachemire, c’est rose et doré, ça frotte des mains plus rudes mais tremblantes. Les joues sont rondes et gonflées, les yeux sont clairs, la terre est plate. Il y a un horizon ici. Ça chante moins c’est sur mais ça prie tout autant. Ici surtout, mon coeur sera complet.
« Ma vie est un câblage sans ciel et mon coeur est un trou où il ne pleut pas »
Quel texte magnifique ! Naître dénaître pour finir avec un coeur complet.
C’est très beau.
Merci
Merci chère Françoise pour votre lecture attentive.