Le bébé a joué sous mon poids, il est né, il a crié, j’ai souri, j’ai soufflé.
Je suis tombée dans la brèche de mon corps ouvert pour lui donner la vie. Il m’a semblé ne jamais pouvoir me refermer, j’étais faille dans la terre et sang qui coulait sur les rochers.
Je me suis ouverte et je ne me suis pas refermée, le sang a coulé, le jour m’a libérée et c’est au petit matin que je me suis endormie.
Je me suis réveillée. Le bébé était là. J’étais comme lui redevenue tout petit, la lumière me faisait mal, les sons m’horripilaient, les draps m’abîmaient et je n’étais que yeux ouverts sur le spectacle de mon corps qui m’abandonnait, las de tant d’efforts et ne sachant pas comment le mener plus loin pour porter ce tout petit qui ne régressait pas lui, il était là, en vie.
Il a ouvert ses yeux sur le monde. Qu’a-t-il vu d’autre qu’une mère floue et des rais de lumière ici et là ? Qu’a-t-il vu lorsque je le regardais les yeux plein de fatigue ? Il a lutté pour sa survie et m’a appelé malgré lui, malgré le manque de sommeil et les insomnies.
Je suis tombée encore un peu plus bas que moi, je n’étais plus moi, j’étais détachée de moi, partie à la recherche d’un souvenir qui m’appelait ailleurs. Comment allais-je récupérer mon corps et ma capacité à penser ? Comment allais-je m’amalgamer à nouveau pour le porter ?
Je me suis mise en quête et j’ai entrepris une plongée souterraine, une aventure hors du temps où les rituels autour des soins que je lui donnais me permettait de ne pas sombrer complètement, j’ai senti que je devenais folle.
J’ai plongé et suis remontée à la surface de temps en temps, j’ai hurlé quelques fois quand mon corps me faisait trop mal, et quand les souvenirs m’assaillaient sans que j’en vois les contours, juste un centre en fusion qui m’engloutissait sans représentation.
J’ai su que je devais comprendre au risque de ma vie et de la sienne, j’ai voulu savoir ce qui m’empêchait de faire comme les autres, gazouillis et compagnie, sourire béat sur les lèvres, mère bienveillante à mes côtés et langueur d’un corps maternant qui récupère lentement mais sûrement.
Mon corps était une plaie et ma mère n’était plus, j’ai du faire avec cette blessure qui n’a pas de nom. Ce n’est qu’au prix d’un abandon total dans les tréfonds de ma psyché que j’ai pu opérer un retournement, traverser le miroir et me refaire la silhouette à partir de ce que je ressentais. Et non à partir de ce que j’avais vu dans les yeux autour de moi : du rejet ou de l’abandon.
Je suis repartie à l’origine de ma vie et me suis mise au monde à mesure que mon enfant grandissait. Je me suis associée de nouveau, corps et mouvement, langue et pensée, émotion et sentiment. Avec lui, je suis de nouveau née.
Merci pour cette histoire de plongée, de lutte, d’éclatement, de tatônnement vers une nouvelle unité, au nom de l’amour…
Merci pour ce texte de naissance, renaissances, plein de vie et si juste.
« …me suis mise au monde à mesure que mon enfant grandissait. » merci pour cette évocation d’une naissance possible de tous les instants. ça met du baume au coeur!