#anthologie #14 #15 #16 | À charge de revanche

Elle l’a dit. Elle a dit, à charge de revanche, je t’ai rendu un service, maintenant tu m’en dois un. A charge de revanche…

A charge de revanche ! Bien sûr, entre amies, on se rend des services, mais je ne me rendais pas compte qu’il y avait une comptabilité spéciale dans ce cas.

A charge de revanche ! L’expression me frappe, me heurte, elle est dure et je ne l’avais encore jamais utilisée. Une charge, ça pèse, ça ploie, ça me chagrine. Elle m’avait porté du pain, je l’avais remboursée, il n’y avait pas de quoi faire tout un plat.

Et puis la revanche ! c’est un mot bien fort pour nos petits échanges. Ça sent la bagarre, le duel, la guerre. Là, c’est moi qui exagère un peu, mais j’aime bien les mots justes et celui-là me semble un peu guerrier.

Donc, c’est à charge de revanche. Maintenant on a un deal, un pacte, on s’observe, on se contrôle. Pas de problème, moi aussi je lui porterai le pain, mais j’apprendrai à calculer un peu…

Vous aimez la peinture ?…

On est là dans son salon tout neuf et je ne comprends pas bien la question. J’aime bien le blanc sur les murs, mais votre beige rosé est très joli, d’ailleurs c’est la mode…Merci, mais non…je veux dire… vous aimez la peinture en général, la belle peinture ?… Me voilà coincée… bien sûr, j’aime la peinture, mais de but en blanc ?… Sujet bateau pour faire conversation ? Ou ça l‘intéresse vraiment …. Je lance à tout hasard, oui, j’aime bien les impressionnistes, Monet et tout ça…très vague…j’aime bien les expositions au musée d’Orsay…vous aussi ? Elle hésite…mais les impressionnistes, c’est du passé, enfin, je ne connais pas bien…j’aime bien les modernes, les cubistes, je n’y comprends rien, mais on me dit que c’est beau…Picasso et tout ça…Et vous allez dans les musées pour visiter ? ou peut-être faites-vous partie d’un atelier peinture ?… Oui, comment vous le savez… j’aime ça, ça me détend, regardez, j’ai quelques tableaux à moi que j’ai accrochés là…on y est, un peu timide, mais elle voulait me montrer ses œuvres…pas mal, joli coup de pinceau…les couleurs sont puissantes…pas comme les murs du salon…vous voulez dire…si j’aime votre peinture ? C’était ça votre question ?… Non, mais peut-être un peu, je suis novice, j’aime qu’on me conseille, je suis trop hésitante…En fait j’aime bien sa peinture…je le lui dis…j’aime bien vos tableaux, vous me raconterez…et voilà le terrain d’entente trouvée…

Le rideau

Comment tu t’appelles ? La petite se tortille, la nouvelle tante lui prend la main pour l’attirer vers elle, elle essaie de s’enfuir, se débat avec force. Tu ne veux pas me dire comment tu t’appelles ? Les yeux et la bouche se ferment, elle baisse la tête, elle n’aime pas qu’on la bouscule. Quel âge as-tu ? Elle est trop petite pour répliquer vertement, elle se détourne à moitié, tu n’es pas polie, dit la maman, elle lève les mains pour cacher ses yeux clairs, pas de sourire, bouche boudeuse, pas parler,  pas répondre, elle leur tourne le dos, quelques soupirs, une petite larme, elle court, les cheveux blonds volent dans le mouvement, un rideau blanc transparent gonflé par le courant d’air fait une cachette imparfaite, mais lui donne la  distance pour éviter les sollicitations, les adultes s’en vont en haussant les épaules, elle est timide, dit la maman…

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.