#anthologie #prologue I le chien grogne et l’enfant l’entend

« I am. I was. I am not. I never am. » London, John Barleycorn

J’étais là avant d’y être. Ma mère me l’a dit. Elle me l’a répété souvent. J’étais dans sa tète. Dans celle de mon père, je ne sais pas. Il ne me l’a jamais dit. Il ne m’a jamais dit grand-chose. J’ai été conçu d’abord comme une image d’Épinal. J’ai été enfant avant de naître. J’ai été imaginé par défaut. J’ai été figuré en bébé Cadum. J’étais un beau bébé blond. J’ai été un bébé sans défaut. Avant de naître, j’étais là. J’ai été conçu ainsi avant d’être conçu.
J’ai été conçu physiquement. Je n’ai pas été conçu à Épinal. J’ai été le fils de Pierre. J’ai été un fils avant de naître. J’ai été nommé. Mon prénom a été choisi. J’ai été prénommé comme des milliers d’autres bébés la même année. J’ai été identifié dedans le ventre de ma mère. J’ai bougé. Ma mère m’a senti bouger. Mon père posait sa main sur le ventre de ma mère le soir et le dimanche matin.
Je suis né dans une minuscule maternité. Mon nom a été inscrit à l’état-civil. J’ai été surnommé. J’ai vu des regards se pencher sur le berceau. J’ai reçu des petits noms. J’ai entendu des oh qu’il est mignon. J’ai senti le froid. J’ai senti le chaud. J’ai senti des mains douces sur ma peau. J’ai senti des mains calleuses sur mon crâne. J’ai senti le sein sur mes lèvres. J’ai entendu la douceur des voix.
J’ai regardé autour de moi. J’ai vu des sourires. J’ai appris à sourire. J’ai vu des barreaux. J’ai agrippé les barreaux. Je me suis redressé dans le lit à barreaux.
J’ai attendu ma mère dans le landau devant les magasins. Un chien était assis devant le landau. Personne ne pouvait s’approcher du landau. Le chien grognait. J’ai entendu le chien grogner. Ma mère arrivait. Le chien ne grognait plus. J’ai entendu le chien aboyer. J’ai entendu mon père dire au chien de se taire. J’ai entendu des gens parler. J’ai entendu des voix d’hommes et des voix de femmes. J’ai entendu des oiseaux. J’ai entendu des vaches. Je me faisais mon cinéma.
J’ai été attaché à mon matelas. Je me suis levé le matelas sur le dos. J’ai grimpé. J’ai rampé. J’ai crapahuté. J’ai pleuré. Mon père m’a projeté au dessus de sa tête. J’ai ris. Ma mère a ri de me voir rire. Mon père riait. Ce n’était qu’un début.

17 commentaires à propos de “#anthologie #prologue I le chien grogne et l’enfant l’entend”

  1. J’aime le fil rouge des noms, prénoms, surnoms, petits noms : ce qu’on est dans la bouche des autres.

    • oui, ce que l’on devient par la manière d’être nommé, les variations identitaires que cela dit.
      Merci de l’avoir souligné

    • oui François, c’était un peu bizarre car les marques de code apparaissaient uniquement dans le titre de l’article mais dans le back office. Tout à l’air en place désormais