#anthologie #9 | pour l’exemple

… ici j’attends dans le noir d’avoir mes vingt ans demain. maintenant je vois plus clair. lorsque nous sommes partis je ne savais rien encore, je me grisais à des mirages de sable ou presque. pas de boussole pour montrer va par-là plutôt qu’ici, j’entendais les discours et les appels je voyais

les articles des journaux, en gros titres les mots contre les barbares, notre courage notre amour de la nation, nous les braves petits gars, en photo avec le fusil et le paquetage, nos sourires déjà triomphants, les mains de l’au-revoir agitées par-dessus le bastingage comme un départ de croisière, la tête ivre des paroles vibrantes pour l’expédition :

défendre les nôtres partis là-bas, travaillant dur, éreintés sous ces climats rudes, ont usé leurs bras leurs forces répandu leur sueur, importé et diffusé tout le progrès et ses bienfaits, et pour quelle reconnaissance, quoi en rétribution ?

ces sauvages tuent assassinent violent refusent les bienfaits de tout le moderne apporté chez eux : sans connaissances, sans techniques, pas très courageux au travail, livrés à la nature et au hasard, et bien sûr depuis toujours divisés même si aujourd’hui regroupés haineux

rien de tel qu’un ennemi commun pour enterrer les querelles !

la fanfare sur les quais les bravos les applaudissements les bottez leurs putains de culs merdeux – revenez-nous vite, notre belle fierté, revenez vite !

pour sûr ça ne sera pas long avec notre bon droit et nos moyens militaires, tout va reprendre les chemins de l’ordre parce qu’eux retomberont dans les disputes pour  avantager ceux de leur tribu plutôt que l’autre, et donc qu’il serait tout aussi évidemment à leur avantage et nécessaire d’accepter notre protection et l’ordre rigoureux de notre administration pour la paix et le bien de tous,

nous envoyés pour restaurer cette liberté et cette prospérité malgré eux qui bénéficieront au long cours de notre civilisation même s’il leur faudra longtemps pour apprendre ce que nous, de par notre nature et des siècles d’éducation savons,

jusqu’à ce jour où j’ai dit je refuse moi de servir la bête qu’il me faut devenir pour raser les maisons abattre les vieillards et les femmes je refuse de rire devant ceux qui hurlent de terreur je refuse de tirer dans le dos de l’enfant des larmes je refuse de tenir les chevilles de la robe relevée sur le visage je refuse de jeter la torche à travers la fenêtre brisée je refuse d’éventrer le sac de grains je refuse le cri des torturés

avancez je vous ordonne d’…

je refuse le pillage je refuse de massacrer je refuse

… pointé le fusil sur l’officier, n’ai pas tiré, je refuse les doigts serrés sur mes bras comme des serres je refuse la cour martiale je refuse votre règlement vos certitudes la trahison je refuse la honte, je refuse toutes vos bonnes raisons

Je refuse demain sûrement j’aurai peur je refuse et puis ils tireront.

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