c’est le premier coup de cloche de l’église, lent et gras, d’autres s’enchaînent et n’en finissent pas de marteler d’un pas de deux, mais pas de ceux rapides des pas de militaires qui marchent lors des défilés d’un pas cadencé, mais de ceux des soldats anglais par exemple au moment de la relève de la garde devant la résidence royale, en une métrique savante,
ce sont donc des coups de cloches lents et graves, un, deux, un, deux, un, deux, et qui poursuivent leur procession sonore, sans que rien ne vienne les arrêter, et bien sûr il a reconnu le glas, la sonnerie des morts, qui diffuse de la glace à l’intérieur de soi et
est-ce-que quelqu’un sait vraiment combien de temps dure cette sonnerie, ce tintement sur une seule note, qui immobilise, ou qui faisait se lever des chapeaux pour honorer le mort ou la mort,
là cela semble durer une éternité, il se souvient avoir lu que le glas sonne à l’entrée du cercueil dans l’église et à la sortie, mais il ne sait plus, et il se mettrait presque à compter les coups comme s’il recevait un coup de poing à chaque impact et que son corps ployait sous la force , il se dit qu’il ne sait rien de cet enterrement qui se déroule tout près dans la cathédrale de la ville, mais une foule immense se tient sur le parvis, une foule silencieuse qui encaisse elle aussi les coups répétés, et en chacun cela médite, cela bouleverse, cela remue
et lui qui marchait normalement jusque là dans la ville se rendant à quelque rendez-vous, ou simplement pour faire un peu d’exercice avant une journée sans grand intérêt, il se retrouve là, percuté par ce glas, ébranlé de secousses auxquelles il ne comprend rien, à voir défiler en tête tous les êtres chers qui ont disparu ces dernières années, et cela fait beaucoup pour un seul homme, et une oppression l’envahit, ses muscles le lâchent et
il s’écroule à moitié sur un banc, tentant de reprendre souffle, ce souffle qui peut faire défaut à tout moment, ce souffle qui a déserté la personne dans le cercueil que l’on glisse dans le corbillard et que les coups de cloches semblent faiblir ou alors il n’entend plus rien avant de tomber sur le banc,
et cela va piétiner autour de lui, des passants appellent les secours, il sera transporté à l’hôpital où il reprendra connaissance, sans comprendre ce qui lui est arrivé, mais avec dans la tête des mots qui frappent comme des coups de poing, comme si un éclair de lumière traversait les parois de son crâne pour lui faire ressentir qu’il est allé au bout de sa vie ici et,
oui, il faut rompre, c’est le mot qui lui vient sur les lèvres, et que c’en est fini de calfeutrer cette souffrance qu’il transporte en lui comme enserrée dans les nœuds d’un mouchoir, et qu’il lui faut vivre désormais
magnifique… complètement emportée par le glas, envoûtée par ton rythme…