Seul dans la ville étrangère, par les rues inconnues, seul devant leurs noms imprononçables, sur des trajets menant nulle part, avec l’errance pour seule compagne, en qui je n’ai aucune confiance, seul à la merci des pas qui ne sont pas les miens, seul dans mon corps où l’âme est bien trop à l’étroit, seul derrière mon visage juvénile qui fait mentir mon âge, seul à se demander pourquoi je viens vivre là, seul avec des prétextes déguisés en raisons, seul comme la maison qui m’ouvre sa porte, seul avec une famille à table, sans pouvoir leur adresser un mot, seul dans la chambre dont on je connaissais pas les murs 5 minutes auparavant, seul sans carnet d’adresse, sans téléphone, sans personne comme issue de secours au silence pesant, seul avec mon dépaysement, mes attentes déjà toutes déçues, seul avec ce à quoi je ne m’attendais pas, ni les couleurs, ni l’odeur, ni la sensation d’être là, seul avec l’inédit que j’aimerais déjà épuiser, seul encombré des différences évidentes, seul avec ma dégaine attirant tous les regards, seul avec leur langue, seul avec la mienne, seul dans le noir, livre en main, durant la coupure de courant, seul dans la nuit, avec une nouvelle solitude qui commence à naitre, dans l’aboiement des chiens battus chez eux, les rats disparaissant dans la bouche d’égout derrière moi, seul avec l’écriture qui n’écrit plus, seul avec la camera sans laquelle je ne vois rien, seul avec un souvenir de musique, seul avec un souvenir de rues familières, à dix-mille kilomètres de là, seul sans ombre qui suit, seul à en douter de sa présence, seul à comprendre que je suis resté immobile, dans la chambre, que mes déambulations ne sont qu’intérieures, si apeuré par la nuit dehors, préférer l’imaginer, arpenter ses recoins sombres enfermé chez moi, avec celle qui partage mes draps, chaque minute la métamorphose, d’identité passagère, je me confie à son oreille comme un trou dans un mur, seul avec les personnages qui attendent d’être écrits, ils attendent dans leur vie réelle que l’homme qui n’écrit pas les délivre, il suffirait de quelques mots pour les faire fiction, seul avec l’avenir incertain, seul à savoir que je ne rentrerai jamais en France, que mon malaise ici devient tendrement mon foyer, seul à savoir que je ne veux non plus rester là, chercher en vain ce qui n’est pas, ne plus chercher à plaquer des mots sur le mot voyage, ne plus croire que vivre doit être mouvement ou rencontre, ne pas avoir honte de ne pas avancer, même immobile, le temps avance pour moi, quelques phrases et déjà 20 ans après, seul avec ce qui aurait du être, seul avec ce qui pourrait être et n’advient jamais.
5 commentaires à propos de “#anthologie #06 | seul dans la ville étrangère”
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Je suis touché par la mélancolie, cette solitude avec qui accentue la solitude sans. Merci.
Un seul qui mène au soi, cette instrospection est fluide et ouverte, pas de clôture. On se laisse emporter dans ce rythme et voix singuliers. Bonne suite
Introspection !
Très fort ce texte. Très fort et oppressant.
Je trouve (ici aussi) encore la mélancolie et j’aime beaucoup ces réflexions du narrateur, ses interrgoations, ses paradoxes, et ça « avec des prétextes déguisés en raisons » entre autres