#anthologie #06 | la salle des dernières solitudes

Un été de torpeur et de soleil blanc. Sous un ciel poudreux le radeau vide du banc brouillé de lumière. L’allée de poussière jusque sous les cernes profonds des feuillus. Seul, petit, râblé, sans âge, Cerbère sur sa chaise – son mirage trouble derrière le reflet laqué des portes vitrées. Il grogne en secouant la tête, roule des yeux. L’unique réponse à nos salutations. (Une fois il soulève lentement son ombre, franchit péniblement le sas, sort jusqu’à la terrasse cloutée de parasols et meubles de jardin clairs. Là il n’attend rien. L’araignée sortie de ses mains dort sur la canne.) Il nous faut traverser le hall, laisser les divans à côté de l’aquarium bleuté, dépasser les poissons à l’œil rond et noir, suceurs de verre multicolores et indifférents ; dans la pénombre du labyrinthe effleurer les commodes lourdes de vies mortes, deviner les reliures en tapisserie contre les murs des recoins. Sans raison baisser la voix. Ralentir le pas. Taper le code de l’ascenseur jusqu’à l’étage inférieur.  Salle des dernières solitudes. Seules hirsutes hoquètent et hurlent, seules aux pas inépuisables dans l’infini rythme du marcher, seuls doubles égarés d’une silhouette fantôme, seuls carcasses tordues sanglées dans les fauteuils-broyeurs, seules regards perdus, seules peluches pressées contre la poitrine, seules tricot émietté, seuls endormis tête renversée, bouche ouverte, seuls debout, seules autour des tables, seuls alignés devant les faux amants de la télé, seules silencieuses, seules buvez un peu s’il vous plaît il fait si chaud il faut boire allons, seuls venez je vais vous changer, seule angoisse pâle figée main levée devant les portes à moitié refermées, je viens avec vous attendez-moi, seule prise doucement par le bras, venez madame venez ; vous restez avec nous, vos enfants reviendront. Seuls et seules aux portes de l’exil.

13 commentaires à propos de “#anthologie #06 | la salle des dernières solitudes”

  1. Je viens de faire un commentaire dans lequel je remarque combien la couleur blanche installe la solitude et de nouveau ici je lis « soleil blanc ». Touchée par la « main levée devant les portes à moitié refermées » pour l’avoir vécu, anciennement. Merci

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