Moi la sinistra traîne galoche et grand cabas j’ai forcé ma voix des hurleries contre tous les vents qui voulaient m’emporter. Je me suis laissée dessécher à force d’eau venue des yeux comme deux sources brûlantes. Pourtant je continue. J’avance noire d’insecte sous le soleil blanc. J’ai dit : je ne lâche pas. Jamais tu m’entends jamais ! Je vous gicle éternels les liquides de haine brouilleurs de vue. Je vous envoie les cloportes de verbes furoncles. Je vous cloue les tympans contre les os du crâne. Vous tous les voleurs les médisants les menteurs les épandeurs de misère vous ne l’emporterez pas au paradis. J’ai déjà trop souffert de tous vos abus, j’ai la peau épaissie de vos quolibets – je rends au centuple coup pour coup, je suis l’increvable malédiction jetée à vos bouches à vos oreilles à vos pensées de sales petites manigances. Je connais tout des connivences de votre meute de nécrophages tout de vos gestes accordés tout de vos paroles en écho d’immondices pour me faire passer pour… et débarrassez-nous d’elle dans sa maison de rats, cousez ses lèvres, trouez-lui sa peau de vieille ensorcelée. Arrivée nue. Frêle, malhabile, lente. En risque précoce de mourir. Ai grandie d’obéissance en surveillance précieuse et précise. Portais l’armure tuteur du corps. Prends soin de vivre sans sortir dans les dangers multiformes ma mère a dit, tu nous briserais. Puis j’ai de nouveau failli mourir, j’ai lu ce qu’il fallait manger et boire, je me suis sauvée encore toute seule. Ensuite pillée, spoliée, espionnée, en vagues continues et renouvelées, mille ruses, mille façons de traverses – depuis le départ rapproché de mes parents (mon père tué par la seringue de l’hôpital, que j’ai vue, mais déjà trop tard) – grandement et constamment abusée. Mais vous n’aurez pas leurs mânes ni leurs moindres objets dont je suis Gardienne. Qu’auras – tu fait de nous et de nos affaires, auras-tu pratiqué le soin et le respect, auras-tu maintenu la vigilance, nous rassemblerons-nous entiers au jour du retour, pourrons-nous dire rien n’a été perdu rien n’a été oublié ? Je suis Gardienne et je veille.
Remarquable ! ça fera une sacrée belle pièce si tu insistes.
A la fois puissant et poétique. J’aime beaucoup les images organiques notamment « dessécher à force d’eau venue des yeux comme deux sources brûlantes » .