#Anthologie 40# Un objet terrestre

Hypothèse 1 : objet trouvé dans un carton de vieux journaux dans la recyclerie d’ un village breton. Ce serait une chemise cartonnée rouge grenat, usée, avec une reliure en accordéon couleur crème, fermée par un ruban blanc et vert glissé dans deux attaches métalliques un peu rouillées, chemise qui porterait une étiquette de type scolaire, borée d’un liseré rouge, mais sans aucune inscription sur l’étiquette. A l’intérieur, il y aurait des feuillets dactylographiés et d’autres manuscrits, un cahier d’écolier, une carte topographique de la Meuse, échelle 1/25000, peut-être y aurait-il des billets de train, de vol, de bus, des fleurs séchées aussi.

Hypothèse 2 : L’objet serait une clé USB bleu ciel, trouvée par le narrateur tout près de chez lui, ressemblant fort à une clé lui ayant appartenu, mais qu’il croyait avoir définitivement perdue.

En ouvrant par curiosité le menu correspondant au contenu de la clé, on découvre une multitude de dossiers contenant des dizaines de sous-dossiers, des dossiers dans les sous-dossiers, des dossiers dans les dossiers des sous-dossiers, parfois titrés, parfois simplement numérotés.

On ne reconnaît rien, tout cela semble étranger. On ouvre tout de même, par curiosité encore, un fichier au hasard, puis un autre et encore un autre, et on s’étonne de voir la diversité des choses : des scans de manuscrits, on dirait que les pages d’un cahier d’écolier ont été scannées, on tombe sur le scan d’une carte topographique de la Meuse, au 1/25 000 ème. La curiosité est alors à son comble car soi-même, on vit là, dans un tout petit hameau breton, c’est par ici que la clé a été trouvée, mais on est d’origine lorraine, on vient de la Meuse, quelle drôle de coïncidence.

On ne saisit pas le fil conducteur de toute cette matière, y en a-t-il un d’ailleurs? On se demande qui est le propriétaire de cette clé ? Quelle était son intention ?

On fouille de manière un peu obsessionnelle dans les fichiers qui appartiennent pourtant à quelqu’un d’autre. On finit par repérer une certaine insistance des repères de lieux dans les fichiers, des adverbes et des noms de lieux qui reviennent puis dont on s’éloigne d’un texte à l’autre. Cherchait – on à figurer sa propre géographie ? Une sorte de géographie subjective, discontinue, trouée, parallèle, une géographie de l’intime qui se trouve pourtant en dehors de soi, une sorte de géographie extime ?

Et si on tentait de cartographier les éléments de cette géographie extime ? Chercher d’où ça s’écrit, d’où ça parle, par où ça passe ? Mais avant de cartographier, ne faudrait – il pas lister les noms de lieux, les classer ? Oui, mais comment ? Par noms de pays ? De villes ? De Lieux dits ? De Fleuves ? Ne faudrait – il pas chercher les coordonnées en latitude et longitude des lieux ?

Peu importe (pour le moment) de savoir qui est l’énonciateur de chaque texte, qui est le photographe de chaque prise de vue. Seul comptera le repère spatial.

Première tentative de classification. La matière va simplement s’ordonner selon une sorte de table d’orientation à deux entrées :

I. Ici et là

II. Ailleurs et au-delà

C’est un peu sommaire, certes. Beaucoup de questions restent en suspens. On se dit que de nombreux éléments contenus dans cette clé concernent de manière surprenante sa propre vie. Et pourtant, il faut bien admettre que cette clé n’est pas à soi.

A propos de Nicole Busquant

Un certain goût pour les traces.

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