Hypothèse 1 : objet trouvé dans un carton de vieux journaux dans la recyclerie d’ un village breton. Ce serait une chemise cartonnée rouge grenat, usée, avec une reliure en accordéon couleur crème, fermée par un ruban blanc et vert glissé dans deux attaches métalliques un peu rouillées, chemise qui porterait une étiquette de type scolaire, bordée d’un liseré rouge, mais sans aucune inscription sur l’étiquette. A l’intérieur, il y aurait des feuillets dactylographiés et d’autres manuscrits, un cahier d’écolier, une carte topographique de la Meuse, échelle 1/25000, peut-être y aurait-il des billets de train, de vol, de bus, des fleurs séchées aussi.
Hypothèse 2 : L’objet serait une clé USB bleu ciel, trouvée par le narrateur tout près de chez lui, ressemblant fort à une clé lui ayant appartenu, mais qu’il croyait avoir définitivement perdue. L’exploration du contenu des fichiers lui révèle que cette clé n’est pas la sienne.
En ouvrant par curiosité le menu correspondant au contenu de la clé, on découvre une multitude de dossiers contenant des dizaines de sous-dossiers, des dossiers dans les sous-dossiers, des dossiers dans les dossiers des sous-dossiers, parfois titrés, parfois simplement numérotés.
On ne reconnaît rien, tout cela semble étranger. On ouvre tout de même, par curiosité encore, un fichier au hasard, puis un autre et encore un autre, et on s’étonne de voir la diversité des choses : des scans de manuscrits, on dirait que les pages d’un cahier d’écolier ont été scannées, on tombe sur le scan d’une carte topographique de la Meuse, au 1/25 000 ème. La curiosité est alors à son comble car soi-même, on vit là, dans un tout petit hameau breton, c’est par ici que la clé a été trouvée, mais on est d’origine lorraine, on vient de la Meuse, quelle drôle de coïncidence.
On ne saisit pas le fil conducteur de toute cette matière, y en a-t-il un d’ailleurs? On se demande qui est le propriétaire de cette clé ? Quelle était son intention ?
On fouille de manière un peu obsessionnelle dans les fichiers qui appartiennent pourtant à quelqu’un d’autre. On finit par repérer une certaine insistance des repères de lieux dans les fichiers, des adverbes et des noms de lieux qui reviennent puis dont on s’éloigne d’un texte à l’autre. Cherchait – on à figurer sa propre géographie ? Une sorte de géographie subjective, discontinue, trouée, parallèle, une géographie de l’intime qui se trouve pourtant en dehors de soi, une sorte de géographie extime ?
Et si on tentait de cartographier les éléments de cette géographie extime ? Chercher d’où ça s’écrit, d’où ça parle, par où ça passe ? Mais avant de cartographier, ne faudrait – il pas lister les noms de lieux, les classer ? Oui, mais comment ? Par noms de pays ? De villes ? De Lieux dits ? De Fleuves ? Ne faudrait – il pas chercher les coordonnées en latitude et longitude des lieux ?
On ne veut pas trop s’égarer. La question de savoir qui sont les auteurs resterait cruciale et en suspens. Le ou la propriétaire de la clé aurait semble-t-il rassemblé des écrits produits par au moins deux auteurs distincts, on fait l’hypothèse à cette heure que les deux auteurs sont peut-être frère et sœur. Par contre, des notes de bas de page, assez rares, semblent avoir été ajoutées par un tiers, mais qui ?
Il semblerait que pour le narrateur, peu lui importe de savoir qui est l’énonciateur de chaque texte, qui est le photographe de chaque prise de vue. Seul compterait le repère spatial, opérateur d’une tentative de classement, trouvée dans un fichier intitulé « Première tentative de classification« .
La matière s’y ordonne selon une sorte de table d’orientation à deux entrées :
I. Ici et là
II. Ailleurs et au-delà
à l’intérieur de chaque partie, une dizaine de titres secondaires.
Le titre s’impose alors à l’auteur. Ce sera Géographie extime.