#anthologie #40 | un livre, cent pages

Le genre de l’auteur fluctue comme son âge 
L’auteur qui écrit le matin dit que ses idées qui sont plutôt des histoires , lui arrivent en écrivant, celui de la nuit le dit aussi
L’auteur du matin doit se méfier de son imagination celui de la nuit aussi

Si l’auteur n’attend pas l’inspiration il entend des phrases ; elles lui arrivent brusquement leur force de conviction est un enchantement et un piège
L’auteur se met alors en trois pour faire de l’ordre, il s’appuie sur sa troisième, sa troisième, est le réducteur de texte; celui qui relit; il peut frapper à toute heure

L’auteur a été homme de service, gardienne de musée, peintre, et beaucoup d’autres choses, elle a gagné le « prix de l’originalité » au Salon de Moret-sur-Loing en 1980 c’est une information véridique mais absolument pas vérifiable ; même si l’auteur est une fiction, comme tous les paresseux il creuse des heures durant des galeries plus ou moins souterraines pour s’y perdre

L’auteur n’a pas lu beaucoup de livres ni étudié beaucoup la grammaire, il a lu des pages; l’auteur est une lectrice de pages
En lisant l’auteur retient souvent des choses considérées comme de moindre importance, elles frappent si fort l’auteur qu’il est stoppé net dans sa lecture
(des écureuils avec des mouchoirs en papier blanc dans la gueule, ou des nourrissons suspendus dans des hamac dans la cale d’un bateau à quai )


Réduit de plus de sa moitié pour rencontrer sa forme véritable le livre, paraîtra plus long qu’il n’était dans sa forme initiale
il est des livres longs qui s’ils n’étaient si courts seraient moins longs
Né de friches et en vrac le livre gardera trace de ses origines

Porté par d’autres voix que la sienne le livre doit encore trouver sa voie

Comme l’auteur, le livre, est une fiction

Ce qui est dit du livre aujourd’hui ne sera plus vrai demain, ou partiellement
Dans sa composition ultime le livre se souviendra de pages perdues
(la page 39 n’a pas dit son dernier mot)

S’envisageant il voudra sauver des pages pas toujours à tort

Le livre pourra se fuyant lui même ouvrir une porte
( il faut noter qu’il y a des portes dans le livres donc des seuils; elles ouvrent et elles ferment, il suffit de ne pas se tromper )

La plupart des pages du livre sont la trace d’une impuissance qui se combat, si c’est un essai, ce dont je doute fort, c’est un essai de se tromper 
Le livre est une succession d’échecs qui ont la délicatesse de savoir danser
Un échec qui se dépasse lui-même en livre

Si le livre est un échec à affronter le réel il y réussi très bien

Le livre est traversé de voix et d’histoires
Les personnages rencontrés dans le livre arrivent souvent à l’improviste ; on ne sait pas d’où ils viennent cependant certains ont un repère historique, un nom dont on se souvient, une adresse postale, une stèle dans un cimetière

Il arrive que le livre chante jusque-là il n’a pas sifflé ;
(parfois il chante si bien qu’il faut lui couper le sifflet)

Le livre peut toucher à des endroits où ne l’attend pas
Il est encore trop poli on attend qu’il sorte de ses gonds

bon, mais le regardant dans le blanc et m’imaginant le prendre je me disais : tout de même une fois que tu l’auras tu en feras quoi. Tu as la force de le prendre tu le crois, et c’est possible, mais tu en feras quoi 

Posé sur une table, une table vide, dans une pièce vide. On ne sait pas si c’est le jour ou la nuit. Les sons du dehors n’arrivent pas. Le livre est ouvert en deux. On ne peut au préalable en lire le titre. Un livre d’une centaine de pages de format A3, un papier épais ; l’aspect d’un manuscrit et les pages ne sont pas cousues entre elles; les caractères, un Garamond dans un corps un peu en dessous de la lecture courante; les marges sont agrandies comme si le blanc de la page prenait autant d’importance que le corps du texte, et le corps du texte semble flotter

A propos de Nathalie Holt

voilà ! ou pas

11 commentaires à propos de “#anthologie #40 | un livre, cent pages”

  1. … Un texte fort et puissant …. qui dit beaucoup sur tout ce qu’il s’est passé et va advenir…merci pour ton écriture, qui me touche ( c’est un mot bateau mais comme on a a pris le large pendant 40 jours et qu’on a tenu la barre j’assume !) et tes passages  » chez moi » enfin « là » où F.B a eu le génie ne nous emporter.

  2. « Le livre est une succession d’échecs qui ont la délicatesse de savoir danser »
    Merci Nathalie pour ces profonds, riches et pertinents creusements dans les labyrinthes du livre, des exigences de celui ou celle qui écrit jusqu’au blanc des marges.
    Vous dites tout et si fort. Toujours, à chaque fois.
    Merci, merci, merci pour ces 40 jours de généreuses, farouches et belles offrandes. Hâte de celles qui ne manqueront pas de suivre. Merci Nathalie Holt.

  3. Je me demande si les auteurs fluctuant en âge et genre ne sont pas un legs des années de théâtre, comme les voix (ex)abrupto mais jamais nihilo qui parviennent si fort, comme des retours plateau en loge… Ton texte vient ajouter à ces réflexions de passerelles qui m’occupent littéralement. Merci.

  4. elle a gagné le « prix de l’originalité » au Salon de Moret-sur-Loing en 1980 c’est une information véridique mais absolument pas vérifiable. Je connais ce salon, j’habite à côté et j’y ai vu de très jolies expositions.

    L’auteur n’a pas lu beaucoup de livres ni étudié beaucoup la grammaire, il a lu des pages; l’auteur est une lectrice de pages. En voilà une belle image et qui me fait penser à ce film la Lectrice avec Miou Miou en 1988.

    La plupart des pages du livre sont la trace d’une impuissance qui se combat, si c’est un essai, ce dont je doute fort, c’est un essai de se tromper
    Le livre est une succession d’échecs qui ont la délicatesse de savoir danser
    Un échec qui se dépasse lui-même en livre. Je suis très touchée par ces mots, je ne sais pas pourquoi mais ces histoires d’échecs et de réussites sont tellement omniprésentes dans notre société et me font tant de mal. Heureusement qu’ils ont la délicatesse de savoir danser. Merci Nathalie.

  5. « Né de friches et en vrac le livre gardera trace de ses origines »

    ah toutes ces voix, toutes ces histoires, toutes ces rencontres
    et oui le livre peut siffler et il peut nous toucher là où on ne l’attend pas
    merci Nat pour ces belles notations qui nous remuent loin…

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