#anthologie #40 | Un aller retour

Les auteurs sont toutes les générations dont on se souvient. Ici plutôt de la branche paternelle, du village de Paganica dans la région des Abruzzes en Italie. Tout est parti du prologue. Je me suis aperçue en l’écrivant que les prénoms s’étaient transmis de génération en génération, en italien, puis francisés. J’ai interrogé mon père afin qu’il remonte dans ses souvenirs. Il m’a alors raconté les traces de son passé, et les traces racontées par son propre père. L’interrogation reste sur ses grands-parents dont il n’a aucun souvenir. Quatre voix se mêlent : la mienne, celle de mon père, celle de son père, et pour quelques filets, celle de ma mère. Ma mère a témoigné tout en préférant garder son histoire pour un autre texte, que l’on écrirait plus tard, c’est-à-dire après celui-ci.  De manière plus linéaire, “en commençant du début”. Mon père ne cesse de répéter : “Mais qu’est-ce tu cherches ?” Il pense que c’est sans intérêt. Ma mère, au contraire, tient au récit, et participe aux recherches documentaires. 

Quand je parle en mon nom, c’est à différents âges, à la mémoire de plusieurs étés, depuis mes un ou deux ans, mes parents ne savent plus, c’est-à-dire en août 68 ou 69 ou 70. Toute l’inconnue est : ma sœur Michèle était-elle avec nous, née en novembre 69. On a acheté la maison à Florange en juin 1973 donc c’était avant. Mon seul souvenir de ce voyage est raconté dans l’un des textes. Mes souvenirs se terminent l’année dernière, en août 2023, où j’ai pris en photo tout le trajet depuis la maison de la Via Fontenuova jusqu’à la place du village, aller et retour, pour garder trace des maisons détruites restées en l’état, avec la vaisselle à table et les torchons accrochés dans la cuisine. Mon projet est d’en faire une exposition. Je n’avais jamais pensé l’écrire. 

Le deuxième texte part de mon souvenir le plus marquant, que j’avais le projet d’écrire il y a déjà quinze ans : le trajet en voiture depuis Paganica jusqu’à Castelfidardo pour aller acheter mon accordéon offerte par mon grand-père Giovanni. Ce trajet a été plus long que prévu, lent, en raison d’une panne technique. Je ne me souvenais pas du tout des conversations, à part quelques bribes au restaurant. Les souvenirs se sont naturellement peu à peu insérés dans le trajet, ceux racontés par mon père, les miens, ceux de son père. Je me rends compte à l’instant qu’aucun récit ne vient du chauffeur, mon oncle Dino. L’hypothèse est de saisir les récits durant le trajet, à l’aller et au retour, d’enchasser les trajets en voiture, les voix, les différentes époques. Les couches de ces époques se superposeraient dans les creux, dans les silences, dans les absences. 

Le projet à partir de là devient : raconter l’histoire de la famille de Paganica en remontant le plus loin possible, raconter le départ de mon père en France en 1960, qui a interrompu le “da capo” d’Ignazio Silo dans Fontamara, et mon retour dans le village 60 ans plus tard en 2023. Raconter tout ce qu’il nous reste. Il manquerait les voix de mes frères et sœurs, de mes oncles et tantes, de mes cousins. Pour l’instant, c’est une histoire entre mon père, son père et moi. 

Si mes frères et sœurs, ou neveux et nièces trouvaient ces textes après ma disparition, auraient-ils un sens ? Ils seraient probablement lus en partie, quelques pages, sans aller plus loin puis jetés. 

Bon, mon père vient de me dire que finalement j’avais un an et trois mois, c’était en août 69. Il vient de se souvenir parce qu’un jour on est allés au Gran Sasso, et que l’altitude a fait cailler le lait de mon biberon. La deuxième fois c’était en 1975. On était tous nés, tous les cinq.

Mon père a demandé du lait au bar. Un grand verre de lait.

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