#anthologie #40 | seuils

Hypothèse sur l’auteur :

L’auteur serait une autrice qui a laissé des traces très grandes de son « je » et presque de son moi. On sent bien qu’elle a voulu parfois se camoufler, s’enlever de la surface de ses lignes, mais enfin elle est bien là et quelque fois on a l’impression qu’il n’y a qu’elle, même quand elle montre les autres, c’est encore d’elle qu’elle parle, comme un centre qui n’arrive pas à se décentré. Elle n’arrive pas à se faire oublier. Elle essaye bien de prendre le regard des autres, mais même là cela ressemble au regard bien à elle qu’elle a exprimé ailleurs, alors ce n’est pas le regard des autres, c’est le regard des autres qui dit son regard à elle. D’ailleurs l’autrice doit aimer regarder, elle regarde tout le temps, il n’y a que ça, des visages et des visages, tous observés. Une vrai obsession. Pas que l’autrice soit particulièrement observatrice, elle aime juste regarder les visages, de loin surtout.

Hypothèse sur l’état du manuscrit :

Un véritable fouillis, on ne voit vraiment pas comment on pourrait en faire la matière d’un livre. Les pages volantes sont certes rassemblées entre elles, et il y a parfois des rémanences, légères, d’un texte à l’autre, mais à part l’hypothèse de quelqu’un qui aurait des lubies et qui ne pourrait pas s’empêcher de revenir parler toujours des mêmes choses, continuellement, on ne voit pas bien ce qui tient tout ça. Les interstices se font gouffres et on tombe dedans pour remonter, ballotter d’une fulgurance à une autre. Fulgurance dans un sens plutôt négatif par ailleurs, on sent bien que la main souvent s’est arrêtée avant de se jeter à l’eau pour de vrai. Parfois on a envie de lui dire « mais saute, vas-y, de quoi as-tu peur ? »

Hypothèse sur les intentions :

Un titre quand même au début de la liasse, un titre « Seuils ». Ou « Franchissements ». Une collection de vouloir dire la zone limite. La zone limite de l’écriture, celle où on peut reculer, on avance à tâtons, rien ne se fait vraiment, mais on est là et on contemple longuement ce qu’il y a de l’autre côté, et on n’ose pas, on n’ose pas franchir. Et quand on franchit, plus rien. Toujours le seuil, l’endroit où il y a tout à faire, mais en fait tout est déjà là, elle n’a pas l’air de se rendre compte qu’elle cherche juste quelque chose qui existe déjà parce que de l’autre côté, ce n’est pas le vide.

Hypothèse « à rebours » :

Le livre a des pages déchirées par une main humaine. Quelques feuillets ont été déplacés. La structure du livre a été repensée. Le dernier lecteur n’était manifestement pas satisfait de l’ensemble de l’ouvrage et a voulu rectifier les erreurs de l’auteur. D’ailleurs, il semble avoir essayer plusieurs tentatives, en bas des pages on peut voir une série de chiffres séparés par des virgules, comme s’il avait donné différentes numérotations à chaque page. Certaines combinaisons sont intéressantes, d’autres moins. Aucune n’est satisfaisante. Le lecteur a probablement supprimé trop de pages dans sa démarche.

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