#anthologie #40 | sauter dans le blanc

Un ou une ermite, âgé, calfeutré dans sa cabane de bois. Qui n’a rien à faire de ses journées. Qui a un passé urbain. Quelqu’un de pressé qui écrit dans le métro, vite, avec une mallette pour travailler et des écouteurs sur ses oreilles. Une bulle. Qui regarde les gens en coin, un œil de pervers ? Peut-être. En tout cas on l’évite. Rares sont ceux qui veulent être dans les récits des autres. Il ou elle marche vite pour mettre de la distance, ou pour rattraper. Vu ce qui est écrit, ce n’est pas clair, en retard ou en avance, en tout cas en mouvement. Même assis ou assise, en mouvement. Qui a des comptes à rendre, oui c’est là dans les marges, alors il ou elle a un sourire tordu. C’est peut-être un monstre. C’est peut-être quelqu’un avec un masque. C’est peut-être aussi quelqu’un de gentil. Qui n’a peut-être qu’un bras parce que vraisemblablement il manque des pages, alors tout ça a été écrit d’une main. Ou un rat Ratatouille aussi, bien sûr que c’est possible en plus lourd. Un panda. Pandatape. Manchot.

En feuilletant pourtant ça parle de mémoire. Ça parle de réel. Est-ce que c’est une trace? Un témoignage ? Un pense-bête. Manquerait une liste de courses. Un brouillon ? C’est un brouillon de notes. Un protège-dent parce que ça se déroule ailleurs. Il n’y a pas de date, on a le droit sans doute de prendre juste un morceau et de le mettre où on veut. Retranscription incomplète de séances d’hypnose, écrites par un ou une thérapeute soucieuse de laisser une trace de sa, ses, patients, patientes. Qui est qui ? Est-ce que tout ça a été écrit par une seule personne ? Qui dit que ça a été écrit d’ailleurs ? D’où ça vient, ça ? 

Pourtant il faudrait finir. La mémoire. Comment faire ? Est-ce qu’il faut enlever pour que ce soit complet ? Rajouter ? Est-ce qu’il ne faudrait pas aller au bout de chaque page: Notre-Dame à Drouot, le trajet, de jour de nuit en parlant des odeurs. Dire qui est sur la photo et déballer ça mais pas pour déballer, ça expliquerait le repas, ça expliquerait mon seul, ça expliquerait tellement. Mais vraisemblablement, ça n’est pas le souhait de l’auteur manchot, alors ajouter une page sur comment perdre un bras et là, ça comblerait l’effet, la cause n’est pas si importante. Aller peut-être vers là, vers les effets possibles, voire surréalistes, voire surnaturels, de causes dramatiques communes et non dévoilées. 

Il manque quand même la partie campagne, c’est évident. La ville, la ville, la ville. On étouffe. Le mou revient beaucoup, doit y avoir une partie dure, sans doute avec la campagne. Je vais rajouter une liste de courses parce que c’est là sans l’être et l’auteur s’en fout, on sait pas qui c’est, alors citron ? Citrons. Des mots veulent s’échapper. De robustes ils sont passés à fiévreux. Rajouter ça aussi, des mots à moitié échappés. Des lettres fugaces qui viennent comme ça. C’est trop propre, c’est louche. Dans les pages manquantes, il devait y avoir de la folie. Des lettres porte-manteaux pour accrocher des phrases, certaines comprendraient rien et se pendraient alors que l’idée c’est de se suspendre. Et sauter dans le blanc.

10 commentaires à propos de “#anthologie #40 | sauter dans le blanc”

  1. … je confirme « Dans les pages manquantes, il devait y avoir de la folie. » quelle belle folie ! Merci à toi, pour le mou, la mémoire, les mots invisibles mais entendus… etc. merci, un grand plaisir de t’avoir lue!!

    • 😉 Merci Nathalie, ça fait chaud au coeur, surtout quand c’est très balbutiant avec ces dernières contributions… On peut pas rester dans ses retranchements, on est obligées d’aller chercher des choses, c’est à double tranchant… Merci

  2. oui pour l’ajout d’une liste de courses !
    oui pour une partie de campagne
    oui pour sauter dans le blanc… et sûrement que la folie des pages manquantes va finir par contaminer les autres !
    salut Nolwenn

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